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tous les Asiatiques, qui jouissent communément seuls, ne se rendent pas aussi heureux que toi, et leur vois-tu de la délicatesse ? Un sultan commande ses plaisirs, sans se soucier qu’on les partage.[1] Qui sait même si de certains individus capri-

  1. « Rien de plus aisé à concevoir, dit Fontenelle, (le plus délicat de nos poëtes, pourtant,) qu’on puisse être heureux en amour, par une personne que l’on ne rend point heureuse ; il y a des plaisirs solitaires, qui n’ont nul besoin de se communiquer, et dont on jouit très-délicieusement, quoi qu’on ne les donne pas ; ce n’est qu’un pur effet de l’amour-propre ou de la vanité, que le desir de faire le bonheur des autres ; c’est une fierté insupportable, de ne consentir à être heureux, qu’à condition de rendre la pareille… Un sultan, dans son sérail, n’est-il pas mille fois plus modeste ; il reçoit des plaisirs sans nombre, et ne se pique d’en rendre aucun…… Que l’on étudie bien le cœur de l’homme, on y trouvera que cette délicatesse tant estimée, n’est qu’une dette que l’on paye à l’orgueil ; on ne veut rien devoir ». Dialogue des morts, Soliman et Juliette de Gonzague, page 183 et suiv.
      Ce sentiment se trouve dans Montesquiou, dans Helvétius, dans La Mettrie, &c. et sera toujours celui des vrais philosophes.