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MARQUIS DE SADE — 1775
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demander justice contre la calomnie. On était prêt à me la faire lorsque Berh a parlé et montré et fait entendre ses enfants à la personne à qui je m’étais adressée. Voilà pourquoi l’on ne m’a point fait de réponse. Si la femme Abbadie eût été alors en prison (vous savez qu’il faut dire les raisons dans les vingt-quatre heures), qu’aurait-on dit ? Furieuse de cet esclandre elle aurait tout fait pour se justifier et nous eût bien embarrassés peut-être.

J’ai fait envoi à M. le procureur du roi des pièces justificatives qui regardent La Grange, comme j’avais fait celles de Berh, et prends le parti de voir venir en attendant les éclaircissements, car faire parler, offrir des accommodements est peut-être les enhardir, faisant voir qu’on les craint. D’ailleurs les reproches, quoique déplacés, que madame de S. me fait sur cela (dans sa lettre du vingt-quatre timbrée d’Orange et sous cachet étranger) sur les affaires antécédentes m’arrêteraient absolument, quand même j’y croirais de l’utilité. Il semblerait que je suis cause des affaires qu’on leur suscite. Eh ! mais « je ne l’empêche pas de demander et d’obtenir justice de ses calomniateurs, si calomnie il y a !… »

Les enfants ne se plaignent nullement d’elle, au contraire. Ils en parlent comme étant compromise elle-même et la première victime d’une fureur qu’on ne peut regarder que comme folie. Mais ils chargent furieusement l’autre. Une mère peut-elle être tranquille de savoir sa fille enfermée sous le même toit, et dans l’incertitude au moins si ce qu’on lui dit du sort de cette fille est vrai ou altéré ? Si au moins ils n’étaient pas ensemble, je prendrais plus de calme. Chaque lettre que j’ouvre me fait frissonner et depuis longtemps je dévore mes inquiétudes. Lui en parler serait inutile. Je sais trop bien que tout ce qui lui arrive, ou en part, passe par les mains de monsieur, ou, peut-être, lui est remis par son fidèle Carteron, dit la Jeunesse, avant de l’être à elle.

Il serait très dangereux de laisser aller celle qui est chez monsieur l’abbé. Il faut qu’il la fasse garder à vue, la traite bien et la contienne jusqu’à ce que l’on soit arrangé, et qu’il ne la laisse pas voir à des allants et venants ; dites-le lui bien de ma part, je vous prie, jusqu’à ce que toutes les affaires soient arrangées.

P. S.[1] Vous avez interrogé celle [?][2] M. l’abbé ; au moins dites-moi de grâce ce qu’elle vous a dit. Vous me devez cette confiance. Vous le devez à la sûreté d’une femme aussi malheureuse que celle que vous plaignez. Si tout ce qu’on dit est vrai, que ne peut-il arriver d’un moment à l’autre ! Ah ! je n’ai que trop de raisons d’y croire ! Ne pensez pas que, quoi qu’on fasse, il lui échappe jamais une plainte. Elle se ferait hacher plutôt que de

  1. Ce billet, écrit de la main de madame de Montreuil, est épinglé à la lettre qui précède. Est-ce une copie faite par la présidente à l’intention de l’avocat, ou bien a-t-il été remis à celui-ci par son destinataire ?
  2. Un mot illisible dans une tournure énigmatique. La suite du billet désigne, de toute évidence, la marquise.