ments sont peut-être allés jusqu’au vampirisme, du moins il n’est pas
exclusif. Tout lui est bon pour apaiser sa faim-valle : une belle garce de
vingt-cinq ans comme la petite pauvresse en haillons qui vient frapper à
sa poterne. Il va toujours bout-ci bout-là. Il fait trois enfants à sa femme
et un autre à Nanon. Les images de la volupté l’embrasent et le sang
ajoute à son plaisir, mais il lui faut avant tout son plein. Son cerveau
s’égare, mais son appétit est solide. Aussi ne trouve-t-on chez lui pas
l’ombre d’un remords, même après le plaisir, aucune velléité de se
contraindre, ne fût-ce que pour ajouter à la volupté de la faute. Rien n’est
moins refoulé que les passions du marquis. C’est lui qui met un masque
et non pas elles. Lorsqu’il est pris en faute il ment, il disputaille, il se
lave comme il peut et atteste le ciel auquel il ne croit pas. Cet homme
porte son vice avec toutes les apparences de la bonne santé et de l’allégresse,
et il en est si bien ainsi qu’il ne s’exaspère pas avec l’âge et ne
tourne pas à la manie. Sa sensualité n’a pas la volupté sexuelle pour
unique objet et trouve, avec les années, un appât suffisant dans la gourmandise.
M. de Sade a goûté à table des satisfactions du même ordre
que celles qu’il a illustrées. Les deux sont allées longtemps de pair et
en s’épaulant, et l’on peut assez bien imaginer les nuits de ce captif au
régime du gibier et des confitures. Mais enfin l’excès de nourriture
l’alourdit et l’apaise, et sa goinfrerie trouve sa fin en elle-même. Il est
devenu énorme ; il sort de sa prison éteint, indifférent ou presque. Sa
lubricité est désormais canalisée, verbale, tout à fait bourgeoise. Elle
se teinte de sentimentalité ; il n’aspire plus qu’à être choyé et à mener
de pair les satisfactions du lit et de la cuisine. Après un essai, qui ne
réussit pas, avec la présidente de Fleurieu, il se met en ménage avec
Quesnet. C’est le dernier amour du marquis, c’est peut-être le seul, et
il dure jusqu’à sa mort. Sa compagne est, dit-il, la femme d’un négociant
qui voyage en Amérique, mais d’autres documents la présentent
comme une ancienne comédienne qui a roulé tous les théâtres de Paris
et de la province. Le fait peut être exact, malgré l’orthographe de cette
dame, car elle met au service du marquis un savoir-faire peu commun
et les relations de ses nombreux amis. M. de Sade est pris ou englué.
Les deux amants se disputent, mais s’accrochent l’un à l’autre. Le marquis
n’a plus d’yeux que pour son amie, car il jure bien haut que ce
n’est qu’une amie. Il vend une partie de ses biens pour elle et il lui
donne une hypothèque sur celui d’Arles. Il n’a que sa louange à la
bouche ; il est jaloux de sa réputation et s’évertue à la défendre. L’aven-
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