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— XLII —


de lui-même, mais l’affection qu’il exige doit être agissante comme son propre égoïsme. Il tend les bras et crie à autrui à la façon d’un enfant qui se croit perdu si on le quitte ; il ne peut même pas concevoir qu’on se refuse à le choyer ou à le défendre et il est, dans cette attitude comme dans toutes, effronté et sans vergogne. Sa haine pour madame de Montreuil ne l’empêche nullement de recourir à elle, et il est véritablement incapable de se tirer d’embarras sans son aide. La présence de sa femme lui est pareillement nécessaire, et nul n’a mieux senti que lui le prix d’un pareil dévouement en en abusant davantage. La séparation qu’elle finit par demander le remplit de stupéfaction, et nous verrons plus loin la hâte qu’il a mise à chercher un nouveau refuge. L’égoïsme affectif du marquis est du reste fort séduisant. Certaines de ses lettres sont vraiment touchantes et d’autant plus insidieuses qu’il superpose un système à une inclination. M. de Sade est de son temps et il en épouse toutes les façons de penser et de dire. Il s’est nourri d’une philosophie qui a dissocié le cœur et la raison pour unir l’effusion à l’équivoque, et il n’a d’audace que dans les paradoxes de ses productions littéraires. En pratique il est vil, cupide, sans orgueil, sensible, respectueux de la vertu, sans force pour le bien, sans persévérance dans la haine. Tout est penchant chez lui, même la bonté.

Cette affectivité si exigeante nous conduit sans nous désorienter à un nouveau contraste qui marque lui aussi le flux et le reflux de la même passion. D’une part, l’âme du marquis est toujours soumise à l’impulsion d’un désir prochain ou insatisfait, d’une cupidité naissante ou déçue, et il n’existe pas chez lui possibilité de résistance à une tentation, à une saute d’humeur, au courroux, au dépit, à la chimère. De l’autre, il sait de quelles conséquences sont pour lui ces mouvements impétueux et, comme il est toujours puni d’y avoir cédé, il tente de corriger par la duplicité, le mensonge et la défiance les effets de sa démesure. M. de Sade n’est cruel que dans les paroxysmes d’une imagination déréglée et malsaine, mais il est toujours insidieux et hypocrite. Ses fureurs sont doublées d’une rage froide qui le conduit aux plus noires traîtrises. Il vit dans les soupçons les plus affreux et il est aussi prompt à passer du soupçon à l’injure que de l’injure aux coups. Il ne fait pas un seul effort pour peser les chances diverses et ne s’arrête jamais à l’échelon du possible ou du probable. Il n’accorde point de crédit à son prochain, et, si les protestations d’amitié qu’il prodigue à quelques-uns de ses intimes le contraignent parfois à une décence qui n’est pas sans tenue,