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comme répondant à ses réflexions, à son jugement ou à ses goûts, qui ne puisse être mise en face d’une proposition contradictoire. Tout ce qui, au contraire, est agi par lui, sans qu’il y ait prêté attention, obéit à un petit nombre d’impulsions d’une constance sans défaut. Rien de plus libre et de plus désordonné que sa fantaisie, rien de plus mécanique que le canevas où elle est brodée. Il fait penser à ces voitures chargées de pierrots et de folies qui suivent, un jour de carnaval, la piste gardée par la police. Ces masques, en dépit de l’apparente liberté de leurs allures, n’ont pas la possibilité de s’arrêter ou de revenir sur leurs pas : on sait où ils vont.

Le marquis est, comme ses oncles, un égoïste, mais il n’en a aucune conscience. Les manifestations de cet égoïsme sont si spontanées et si pures de tout mélange qu’elles peuvent passer pour candides. Cet homme ramène tout à lui. Il tiraille même sa propre personne, comme le vent fait d’un bonnet, et l’on ne voit jamais de lui qu’une pointe orientée par le désir. Ses impulsions successives le rendent inapte à exercer sur lui-même la moindre contrainte en considération d’autrui, mais il est parfaitement capable de dissimuler longtemps pour satisfaire sa cupidité. C’est même dans la dissimulation qu’il montre la seule force d’âme dont il soit capable, ainsi qu’en fait foi le silence, presque héroïque, qu’il a gardé sur son emprisonnement pendant la Terreur, parce que la divulgation de cette disgrâce était de nature à lui nuire s’il échappait à la mort. Cet égoïste se montre, au demeurant, facilement serviable, mais il est impossible de citer un seul cas où les services qu’il a rendus lui aient réellement coûté quelque sacrifice. S’il s’en impose la gêne, c’est que sa bienveillance répond à un dessein préconçu, à une sorte de formulaire philosophique des droits de l’amitié, et qu’elle lui apporte, au moins, une satisfaction d’esprit. Du reste il ne se fait pas faute de porter en compte le bien fait.

Cette bonhomie du marquis fait un contraste apparent avec son égoïsme. Elle n’est cependant que la reproduction inversée de la même empreinte aux antipodes de sa conscience. C’est par une correspondance étroite de qualité que M. de Sade est à la fois un fort méchant homme et un assez bon diable. Il a de la sensibilité à revendre, mais sa tendresse sans vertu n’est que le double de son amour de lui-même. L’avers et le revers de cette tendance trahissent un infantilisme qui ne se dément point et qui n’évolue pas. M. de Sade a besoin d’affection et il la quête avec toutes les inflexions caressantes du sentiment et le don le plus séduisant