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LES DEUX DERNIÈRES LETTRES
DU MARQUIS


Souvenirs et nouvelles de la maison des fous.

Avant que de commencer ma lettre, monsieur, je sens qu’il faut me justifier auprès de vous de plusieurs torts que vous semblez me prêter, quoique je puisse vous assurer que je ne m’en croie aucun vis-à-vis de vous et que les événements et les circonstances soient les seules causes de ces torts dont je ne puis avoir que l’apparence.

Jamais je ne vous enlevai ma confiance, mon cher avocat, permettez-moi cette ancienne expression de notre très ancienne liaison ; mais, la vente de la Coste vous mettant dans un grand éloignement du peu qui me restait dans le ci-devant Comtat, ce motif, joint à votre antipathie pour les voyages, vous enlevait naturellement et comme malgré moi la gestion de cette partie de mon bien ; cette manutention ne pouvait plus regarder qu’un homme de Carpentras. Courtois seul pouvait gérer Mazan. Arles, vous n’en vouliez pas… disons mieux, vous ne le pouviez pas. Qui m’offriez-vous pour vous remplacer ? Votre fils aîné dont les seules lettres me donnaient la fièvre pendant huit jours. J’ai donc dû prendre le parti que j’ai pris ; la raison, les convenances, tout me le dictait ; mon cœur seul s’y opposait, mais il est tant d’occasions dans la vie où il faut combattre les conseils du cœur. Parfaitement sûr que vous ne teniez pas au très chétif et très vil intérêt de votre manutention, j’avais calculé que, l’ayant ou ne l’ayant pas, nous pouvions nous aimer tout de même, et votre silence obstiné depuis ce temps-là m’a prouvé que je me trompais. Je m’en suis dédommagé en pensant souvent à vous, en m’en entretenant bien des fois dans l’année avec l’amie sincère à laquelle vous venez d’écrire et qui s’est toujours fait un devoir d’être bien constamment la vôtre. J’ai, pour preuve du désir que j’avais d’avoir de vos chères nouvelles, les informations multipliées que j’en ai demandées dans mes lettres à Courtois qui ne m’a jamais donné la satisfaction d’y répondre, à la vérité. De votre part j’ai eu dans ce long intervalle une preuve de votre souvenir et de votre attachement, je vous la rappelle ici, et pour vous en remercier, et pour vous prier de la mettre à exécution. Sambuc de la Coste m’écrivit, il y a cinq ans, que vous l’aviez chargé de me dire que vous aviez en mains quelques papiers à moi, échappés

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