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MARQUIS DE SADE — AN VII.
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amis et moi je vins m’établir pour l’hiver à Versailles, celle des villes environnant Paris où l’on peut vivre à meilleur marché. Là, au fond d’un grenier, avec le fils de mon amie et une servante, nous mangeons quelques carottes et des fèves, et nous nous chauffons (pas tous les jours, mais quand nous pouvons) avec quelques fagots que nous prenons à crédit la moitié du temps. Notre misère est au point que, quand madame Quesnet vient nous voir, elle nous apporte à manger, de chez ses amis, dans sa poche……

Venons à mon fils. Il y a peu d’exemples au monde de la conduite aussi affreuse que barbare que ce scélérat (le mot lui convient) garde avec moi. Il connaît ma situation ; il est venu contempler ma misère, et non seulement il n’a pas voulu faire une démarche, mais il a même entravé tant qu’il a pu celles de madame Quesnet. Voulez-vous enfin un dernier trait de lui ? À force d’art et de supplications, M. de Bonnières, un des plus célèbres avocats de Paris, ex-député, avait ébranlé madame de Sade et obtenu d’elle de se trouver chez lui avec madame Quesnet, afin que celle-ci pût avec vérité peindre à l’autre toute l’horreur de ma situation. L’heure, le jour, tout était décidé, lorsque ce coquin, qui se dit mon fils, a été chez le médiateur lui faire de ce projet honnête les plus sanglants reproches et, tout de suite après, chez sa mère l’empêcher de se rendre au rendez-vous et refroidir, atténuer par mille mauvais propos, l’intérêt que Bonnières était parvenu à réchauffer dans elle. Donnez vous-même, mon cher et honnête ami, oui, donnez vous-même à ce monstre le juste nom qu’il mérite et vous verrez si ceux que je lui donne sont ou non mérités. Au fait, le gentil monsieur, profitant du temps où la loi me tenait lié, a, dit-on, fait beaucoup d’actes d’autorité dans mes possessions et surtout à Mazan. Je vous charge positivement de détruire et d’annuler tout cela. Si vous avez besoin d’un pouvoir ad hoc, mandez-le moi, vous l’aurez sur le champ. Si je suis fâché que vous ayez fait politesse à ce drôle-là, c’est autant pour vous que pour moi. C’est un traître et si, mangeant votre souper, il eût reçu la nouvelle de ma mort, il vous eût tracassé[1]…… pour l’affaire Archias, pour celle Silvan, etc., etc., etc. Ne doutez nullement de cela, car il a positivement assuré, et moi, et deux autres personnes, que si je faisais avec lui l’arrangement qu’il a dans la tête, et que bien certainement je ne ferai pas, c’était par ces infâmes procédés-là qu’il débutait en Provence, et vous jugez comme je le rembarrais à ce sujet. Mais, entre nous soit dit, comme ce drôle-là a-t-il pu se tirer d’affaire dans son voyage ? Comment personne ne l’a-t-il chicané ? C’est inconcevable ; tout autre aurait été pris vingt fois ; il faut pour mon malheur que ce gueux-là s’en tire. Oh ! je suis bien ulcéré, mon ami, bien vivement ulcéré ! Il vient tout récemment de faire un voyage très mystérieux. Mandez-moi, je vous prie, si ce n’est pas encore dans vos cantons qu’il a été ? À ce sujet, mon cher maître, vous me dites quelque

  1. Plusieurs phrases de cette lettre ont été effacées avec une encre plus noire, sans doute par Gaufridy et, en tous cas, pas par leur auteur car la suite du texte n’a pas été rétablie. Ici deux mots illisibles sous le trait qui les barre.
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