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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


d’y mettre son séjour à profit pour chercher à ruiner son crédit et à paralyser ses opérations. C’est un vilain b… qui ne l’emportera pas en paradis !

Les lettres de M. de Sade passent toute mesure depuis que le fils de l’avocat est devenu son correspondant. Ce garçon est un étourneau ; il n’a jamais quitté les jupes de sa mère, mais son incapacité n’a d’égale que sa présomption ; il est plus douillet qu’un soldat du pape ; il songe creux sans agir et crie lorsqu’on le touche comme un chien qu’on réveille en lui marchant sur la queue. Ce qu’il fait au marquis (c’est attendre son argent) procède d’une âme de boue ! Charles, en recevant sa procuration, lui avait promis un chapeau d’écus ! Où est-il ce chapeau ? Qu’est devenu le temps où Lions s’occupait de la terre d’Arles, Lions qu’il a eu la sottise de renvoyer ? Un blanc-bec se permet aujourd’hui de donner des délais au fermier ; on protège Audibert dont le marquis ne veut plus entendre parler, sinon pour lui faire rendre gorge ; on détourne, pour le faire travailler par les banquiers, le peu d’argent qu’on lui envoie et on le lui compte en écus républicains de cinq livres au lieu de vieux écus de six ; on le paie surtout de prétextes et on le croit assez imbécile pour avaler ces goujons-là ! Le marquis court à chaque instant le risque d’être assassiné par les mauvais sujets qui consentent encore à prendre du service dans une maison dont le maître lui-même ne mange pas à sa faim. S’il se plaint, Charles lui répond par les plus plates insolences et pousse l’effronterie jusqu’à lui rappeler les malheurs qui ont valu au citoyen Sade l’estime de tous les honnêtes gens. Et celui qui écrit ces horreurs est le fils de son compagnon de jeunesse, d’un homme qui lui doit sa liberté, le frère de quelqu’un qu’il a tiré de la réquisition ! Le sang du marquis s’allume à la pensée de tant d’ingratitude. Il veut parler d’autre chose, « mais il y faut un intervalle !.. »

Cette situation prendra fin au premier mai. Il y aura alors « un développement d’énigme bien singulier » qui laissera chacun dans la joie, et les deux amis n’auront plus à se souvenir que l’un a failli mourir de faim par la faute de l’autre. Pour amener ce dénouement, il ne faut plus au marquis que trois mille livres. Mais M. de Sade a quitté Paris : il demeure à Saint-Ouen, place de la Liberté, no 3, « maison de la citoyenne Quesnet », et l’on se demande si ce n’était pas à l’achat de cette maison pour la citoyenne qu’était destiné l’argent de la vente faite à Rovère. C’est là, quoiqu’il en soit, et non ailleurs, (car un autre Sade