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n’attend que le moment de se montrer. Je crois qu’il a vu juste, bien que l’activité de madame de Montreuil ait été surtout dirigée contre lui. Ce n’est du reste pas une passion célée ou inavouable qu’elle a nourrie pour son gendre, mais une sorte de dilection farouche et indignée pour cet homme qui a mis sa prudence en défaut, qui a payé ses premiers bienfaits par des insultes, qui a souillé sa fille préférée et lui a aliéné l’amour de l’autre, qui, en toute occasion, lui a fait du mal. C’est elle qui a sauvé M. de Sade après l’affaire d’Arcueil, et il paraît certain qu’elle n’a pas provoqué ses deux arrestations à Paris et à la Coste. Lorsqu’il s’enfuit, après l’arrêt d’Aix, elle le laisse libre dans ses terres et semble encore attendre le miracle d’un amendement impossible. Elle n’a rien épargné pour le blanchir, pas même ses victimes, et trafiqué de tout, même de la douleur d’autrui, pour arriver à cette fin. Mais sa complaisance pour le marquis ne va pas au-delà de son scrupule à le frapper elle-même. Son principal souci est de lui arracher sa fille et de la ramener à elle et à ses enfants. Après l’incarcération de son gendre, elle paraît soulagée de ne plus avoir à lutter contre sa raison, et son ferme désir est qu’il reste où le roi a jugé bon de le placer. Le côté le plus pathétique de cette chronique est le conflit affreux qui divise la mère et la fille. Il se prolonge pendant quinze ans et se termine par le triomphe de la présidente, c’est-à-dire par la séparation définitive de madame de Sade et de son mari. Toutefois l’inflexible rigueur de madame de Montreuil n’a jamais passé la mesure. Elle travaille patiemment à déciller les yeux de la marquise, mais elle se refuse à employer les moyens qui pourraient l’affecter trop vivement. Elle la flatte, sacrifie l’infortuné Marais à sa haine, la ramène doucement, fournit un aliment à son activité en lui laissant d’abord la direction des affaires du prisonnier, puis lui retire cette distraction et rompt ce dernier contact quand il lui apparaît que ces soins journaliers se sont substitués à l’amertume des souvenirs.

En fait madame de Montreuil est beaucoup plus attirante que la marquise. Le charme que, selon son gendre, elle tient du diable, opère même à la lecture de ses lettres. Elle use d’expressions simples et sans étude qui éveillent le sentiment de ce qui doit et de ce qui peut être, sans s’imposer autrement à notre attention. La propriété de ses tours et la sagesse sans affectation de ses vues remettent toutes choses dans l’ordre voulu par la coutume et par les mœurs, par les apparences à garder, les bienséances à observer, les avantages à poursuivre et les

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