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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Certes, il faut que vous supposiez madame de Villeneuve bien près de sa fin pour l’engager à ne m’offrir que quinze mille livres à vie d’une terre dont le rapport est de quatre mille livres, c’est-à-dire donc que dans quatre ans vous la croyez morte. Eh bien ! moi, cher citoyen, qui désire et qui suis très persuadé que madame de Villeneuve a plus de quatre ans à vivre, je suis fort loin d’accepter un pareil arrangement ! Et voici au contraire comme je vous le propose, et comme je vous prie de le lui offrir de ma part.

Je suis au moment d’affermer Mazan, huit mille francs, et c’est là sa valeur, eu égard aux assignats et à l’extrême cherté des vivres : d’une autre part, je dois, suivant le cours de la nature, supposer encore dix ans de vie à madame de Villeneuve. Or, dix fois huit mille francs font bien quatre-vingt mille francs. Que madame de Villeneuve, vu le besoin que j’ai d’argent, m’en compte soixante et dix ; Mazan est à elle pour sa vie durant. C’est le seul et unique arrangement que je puis faire et il y a mille écus pour vous si vous réussissez.

Que madame de Villeneuve m’envoie de l’or ou des écus et Mazan est à elle pour trente mille francs, pour vingt-cinq même en numéraire au dernier prix, et soixante et dix en assignats.

Que madame de Villeneuve fasse mieux ! C’est le château de Mazan qui lui plaît ; je le lui donne à vie pour les quinze mille francs qu’elle m’offre, ou deux mille écus en numéraire, mais le seul château et jardin.

Qu’elle fasse mieux encore ! Elle est riche à présent ; elle a des filles ; qu’elle m’achète à perpétuité ma terre de Mazan, ses filles en jouiront après elle ; je la lui donne pour cent mille francs en numéraire, ou deux cent cinquante mille francs en assignats, et deux mille écus de pot de vin pour vous.

Voilà, mon cher citoyen, les seuls arrangements que je puisse faire. Je serais un fou d’en faire d’autres et vous ne le voudriez pas.

C’était sans doute pour me faire toper à un si mauvais arrangement que vous ne vous pressiez ni de m’envoyer de l’argent ni de retirer des mains de la nation les revenus qu’elle m’avait injustement accaparés. Votre politique était excellente, mais j’ai malheureusement des yeux de lynx et je vous ai vu venir de vingt lieues loin.

Adieu, mon cher citoyen. Croyez bien que, malgré notre brouillerie, je ne vous en estime pas moins et ne vous en suis pas moins attaché : faites réussir mes propositions et vous recevrez de mes sentiments des preuves bien moins équivoques encore.

Que madame de Villeneuve fasse mieux encore ! Elle aime Mazan ? Eh bien ! qu’elle y soit ma fermière. Ce noble état aujourd’hui honore tout le monde. Je lui donne pour huit mille francs par an, et je vous réponds qu’elle y gagnera.

Au reste, mon extrême confiance en mon ami Gaufridy fait que je dois lui soumettre à l’instant la proposition de madame de Villeneuve. En conséquence, je lui envoie par ce courrier copie de la lettre que je viens