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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Gaufridy, qui n’a pas songé à en avertir le marquis, est tancé vertement d’une négligence si dommageable. Il faut, pour rattraper le temps perdu, battre le fer des deux côtés. D’abord le testament est nul. De plus on fera savoir en bon lieu que les demoiselles de Chabrillan, qui sont les héritières naturelles du défunt, ne peuvent prétendre à sa succession car elles sont filles d’émigré. On cherchera enfin à éviter que la nation mette la main sur la dépouille parce que quelqu’un le peut et doit faire de préférence à quiconque : c’est le citoyen Sade, qui, lui, est parent d’émigrés, mais que la loi n’a pas privé de sa vocation héréditaire.

Le président de Montreuil s’est éteint à Paris, où l’hiver a été plus terrible que ceux de 1709 et de 1740.

Gaufridy a fait une grande perte qui paraît être celle d’un de ses fils, peut-être mort tragiquement et, en tous cas, hors de chez lui car le père désire qu’on garde le silence sur cette fin. Aussi M. de Sade n’en parle-t-il à son ami que lorsque la chose est devenue publique. Mais, comme le terme de son quartier est passé, il lui rappelle qu’en pleurant les morts il ne faut pas laisser mourir les vivants. Dix jours après, ce délicat seigneur envoie le même compliment à la femme de l’avocat.

La vente, depuis longtemps projetée, de la Grand’Bastide permet au citoyen-marquis de faire une petite opération qui le peint tout entier.

Après plusieurs hausses de prix, « car les terres se vendent maintenant au poids de l’or », Gaufridy a vendu ce domaine à son beau-frère Archias pour la somme, approuvée par M. de Sade, de quarante mille francs et il envoie à celui-ci un acompte de vingt-deux mille deux cent soixante-seize livres en deux lettres de change. Il est juste de dire que si l’avocat a montré quelque empressement à traiter cette affaire avec un de ses proches, il n’en a reçu que de menus cadeaux, parmi lesquels dix livres de tabac en carottes. Mais, entre temps, le marquis a eu, d’un sieur Villars, de l’Isle, une offre d’achat à quarante-cinq mille livres. Il avise aussitôt son régisseur qu’il n’y a rien de fait, mais qu’il réservera la préférence à Archias, si celui-ci veut couvrir cette offre, et il s’engage à ne toucher aux lettres de change qu’après son acceptation. Puis, ayant réfléchi que l’occasion est bonne pour enfler la baleine, il prétend avoir autant d’acheteurs qu’il en veut à des prix dépassant soixante mille et déclare tout net qu’il faut payer le fonds sur ce pied-là ou y renoncer. Mais lui ne renonce pas à l’argent qu’il a déjà en mains.