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MARQUIS DE SADE — AN I.
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sance de me détailler, cette injustice, dis-je, est horrible, mais, dès qu’elle est reconnue, vos dangers cessent, et je ne vois aucun risque pour vous de retourner. Les personnes acclimatées à la Provence soutiennent très difficilement l’air de Lyon, mais d’après ce que vous me marquez de votre état physique, il est constant que vous avez le plus grand besoin d’être purgé, et cela doit toujours être après une révolution d’humeur. Je vous conseillerai de procéder à cela, aussitôt votre arrivée au pays ; car il me semble qu’il ne faudrait pas voyager immédiatement après une médecine. Ne vous en allez pas par eau. Souvenez-vous que cette voiture est très dangereuse, surtout après les pluies qu’il vient de faire……


Copie de la lettre de Paulet établie par le marquis le 11 novembre.

Je certifie, sous le sceau de ma parole d’honneur, la présente copie mot pour mot conforme à l’original. Ce 11 novembre 1792.

De Sade.

Monsieur,

Il est bien vrai et il n’est que trop vrai que le château de la Coste a été pillé et dévasté à l’instar de presque tous les châteaux voisins. Je ne chercherai point à excuser ceux de mes concitoyens qui se sont livrés à ces excès, à l’exemple et à l’impulsion de quelques mauvais sujets de Lauris qui, après avoir commis les mêmes horreurs chez eux, sont venus les propager chez nous. J’étais ce malheureux jour à ma campagne, où je suis enterré depuis six mois ; j’en fus instruit vers une heure après-midi ; je courus tout de suite au village ; j’appris que cette scène d’horreur avait commencé vers les dix heures du matin et s’était consommée dans moins d’une heure. C’est dans ce court intervalle que tout fut enlevé, soit de l’intérieur, soit du dehors, car, pour faciliter l’enlèvement des meubles, on avait jeté la majeure partie par les fenêtres ; à mon arrivée tout avait disparu.

J’appris que la municipalité, du moment qu’elle eut connaissance de ce cruel événement, ramassa ce qu’elle put de forces et monta au château, mais cette garde fut trop faible pour résister à un attroupement de plus de quatre-vingts personnes devenues d’autant plus furieuses qu’elles s’étaient déjà enivrées de votre meilleur vin.

Le premier soin des honnêtes gens et de la commune (le maire était absent) fut d’abord de faire consigner les portes du village et ses avenues, et de faire faire des visites chez tous les habitants, soit du village, soit de la campagne, pour chercher les meubles enlevés. Cette recherche a duré cinq à six jours ; on a assemblé le peuple pendant deux fois dans l’église pour exhorter les pillards à la restitution. Il se retrouva beaucoup d’effets qui furent déposés à la maison curiale, et nous avons eu, monsieur, la douleur de voir arriver en suite trois ou quatre charrettes mandées, dit-on, par