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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Il est arrivé ici une fille de votre connaissance, mais non pas de vos amies ; cette créature est la fille de la Soton, arrivant sur un cheval à Paris tout exprès pour présenter à l’assemblée nationale un mémoire contre vous, contre le curé ancien et deux ou trois autres Costains, causes, dit-elle, de ce qu’on a fait perdre les écoles à sa mère. Elle est furieuse contre vous ; je ne vous parle pas de tous les torts relatifs à moi qu’elle vous prête, parce que, sur ces choses-là, n’écoutant jamais que mon cœur, votre défense s’y trouve écrite mille ans avant l’accusation ; mais cette fille… son cheval… tout cela était furieux, tout cela ne voulait rien moins que votre tête. Cette dame dont je vous ai parlé, et avec laquelle je loge, qui, par parenthèse, rien que sur la lecture de vos lettres vous a pris dans la plus grande amitié, a fait l’impossible pour la calmer ; elle l’a fait dîner avec elle ; elle l’a revêtue de ses propres habits pour la mener aux promenades, aux spectacles ; rien ne la désarmait ; son refrain était toujours : la tête de M. Gaufridy ! Je ne puis, dans cette lettre-ci, vous rien encore mander de positif, parce que nous sommes encore à la travailler, non pas à lui demander grâce, comme bien vous croyez, mais à lui faire entendre que les gens qu’elle accuse n’ayant aucun tort, ses démarches ne serviront qu’à la faire passer pour une folle……

Soton vous accuse fort d’un commerce avec les Montreuil. Je ne le crois pas et n’ai qu’un mot à vous dire pour vous faire voir que je n’y crois pas : vous êtes mon ami et les Montreuil sont mes plus grands ennemis. Ce sont de plus des gueux, des scélérats reconnus, et que je pourrais perdre d’un mot si je voulais ; mais j’ai pitié d’eux, je leur rends mépris et indifférence pour tout le mal qu’ils m’ont fait……

Adieu, cher avocat ; au nom du ciel, de l’argent, de l’argent, de l’argent !


Le marquis met l’avocat au fait du tapage que mène la Soton. (Sans date).

……La Soton fait toujours grand tapage ; avant hier elle vint me donner ici une scène de pleurs…… Cette gueuse-là me paraît fort dangereuse ; elle va toujours en avant et dit à présent qu’elle ne peut pas s’empêcher de me compromettre aussi dans la plainte qu’elle rend. Elle a fait faire un mémoire ; elle a demandé à son avocat la permission de me faire voir ce mémoire, mais il le lui a défendu, preuve qu’on a envie de me fourrer aussi dans tout ce tripot-là. Elle voit madame de Sade qui, à ce qu’elle prétend, lui donne de fort mauvais conseils contre vous et moi. En ce moment voilà cette fille à ma porte avec un soldat qu’elle m’amène sans vouloir dire quel est ce soldat. Je les fais congédier tous deux et vais prendre le parti de ne plus recevoir cette créature ; elle n’a qu’à nous attaquer l’un ou l’autre ici et elle verra ce que je répondrai. Adieu ; de l’argent, de l’argent au nom de Dieu !