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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


nôtres au lieu de songer à l’en défendre. Ses fils sont des ennemis. Néanmoins, bien qu’il n’approuve pas sa conduite, le marquis a fait honneur à une lettre de change que son aîné, qui a émigré, vient de tirer sur lui.

M. de Sade a pris feu trop vite. Le chevalier n’a pas enlevé l’héritage, et le voilà soudain tout attendri : la tante n’a donné que trois cents livres à ce pauvre petit diable ! Elle se conserve si bien que l’on n’en finira pas, si l’on veut attendre sa mort. Il faut donc trouver quelque expédient pour la soulager de son argent sans nuire à sa santé, et l’on s’exposerait, par une trop longue inaction, au double chagrin de la perdre et d’en être déshérité.

Le mieux serait, évidemment, d’opérer soi-même et le marquis est de plus en plus tenté d’aller à la Coste au printemps. Il ferait ce voyage avec son amie, car ce n’est qu’une amie et il ne doit y avoir sur ce point aucune équivoque. Cette personne est extrêmement honnête et réservée. Elle lit toutes les lettres de Gaufridy et l’avocat fera bien de ne parler d’elle qu’en bons termes.

Mais où logera-t-il ? Au château ou dans le village ? Que dira-t-on en le voyant paraître ? Que dira-t-on s’il ne vient pas ? Où est le danger ? Et, s’il y a, de toutes façons, risque à courir, quel est le moindre ?

L’avocat est, hélas ! peu fait pour l’affermir. Il complote contre la nation, mais c’est un lièvre dont le moindre vent de panique agite les longues oreilles. M. de Sade vient d’apprendre qu’il a pris la fuite. Cette nouvelle le désespère et il pousse des cris si perçants qu’ils peuvent être tenus pour sincères. Gaufridy veut se réfugier à Lyon. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La maison de son ami est petite, mais elle lui est ouverte. Si pareille aventure se renouvelle, l’avocat doit venir à Paris tout droit, en prenant avec lui un quartier pour faire bouillir la marmite du « pauvre diable qui sera heureux de le recevoir. » Ce n’est heureusement qu’une alerte. Gaufridy est rentré. On avait mis chez lui une garnison de vingt-quatre hommes qui y est restée pendant trois jours, et M. de Sade offre de prendre à sa charge la moitié de ces frais-là, car l’humeur « jacobite » a dû s’exercer sur le procureur à cause du maître.

Le ministre a parlé avec un grand sang froid, à la barre de l’assemblée, des excès qui ont été commis dans la ville d’Apt par les habitants de plusieurs communes du voisinage qui s’étaient réunis en armes, et le ci-devant marquis ne peut plus douter du danger qu’il y a pour lui