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MARQUIS DE SADE — 1791
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Le marquis annonce que ses démêlés avec madame de Sade touchent à leur terme et fait à l’avocat sa profession de foi politique, pour autant que sa qualité d’homme de lettres lui permet d’en avoir une. (5 décembre).

……Je viens de recevoir une lettre de madame de Martignan. Je lui répondrai au jour de l’an. Sa lettre est charmante ; dites-lui mille choses pour moi. Vous ne sauriez croire combien je suis aise que ma famille vienne comme cela un peu vous entourer. J’aime que les mêmes lieux contiennent ce que j’ai de plus cher. Je vis toujours dans le plus doux espoir de vous aller voir en mai ; je regarde cela comme trop essentiel pour y manquer. Nos discussions avec madame de Sade vont se terminer au moyen de deux cents louis de dettes pour mon ameublement que la dite dame va payer pour moi. La voilà bien malade ! Ça nage dans l’or et ça me refuse à moi, pauvre diable qui ai à peine de quoi m’habiller, moi qui suis obligé de faire pour vivre des comédies… que les comédiens jouent et ne me paient pas ! Et le vin cuit, avocat, quand en tâterons-nous ? Convenez qu’il a un peu de peine à venir……

J’attends le quatrième et dernier envoi avec impatience. Tâchez surtout que ce que j’appelle la grande cassette soit compris dans cet envoi. Voilà succinctement ce qui me paraît vous avoir été demandé dans ce quatrième envoi : des manuscrits qui doivent se trouver encore dans les tiroirs de mes bureaux ou dans les rayons de la bibliothèque, un détail de meubles surtout qui m’est nécessaire, une partie de ce que l’office renferme de mieux tant en porcelaine qu’en cristaux emballés avec bien du soin, les rideaux de toile de coton jaune, les deux rideaux de perse tabac d’Espagne, s’ils peuvent se trouver, un de taffetas gris, une couverture piquée de toile, bien des petits objets du cabinet d’antiques, des lacrymatoires, des lampes, des monnaies, une bague (ces deux derniers objets doivent être dans les tiroirs du bureau de mon cabinet qui est entre la fenêtre et la cheminée), plusieurs papiers de l’armoire au serre-papiers, tels que les lettres de mon père, de la demoiselle Beauvoisin, lettres générales, état de meubles de différentes maisons, lettres d’affaires, procès de Paris, une housse de lit de satin blanc à fleurs d’or provenant de la succession de ma mère envoyée à la Coste par madame de Sade, etc.

Maintenant, mon cher avocat, vous me demandez quelle est vraiment ma façon de penser afin de la suivre. Rien assurément délicat comme cet article de votre lettre, mais ce sera en vérité avec bien de la peine que je vous répondrai juste à cette demande. D’abord, en qualité d’homme de lettres, l’obligation où je suis ici journellement de travailler tantôt pour un parti, tantôt en faveur de l’autre, établit une mobilité dans mes avis dont se ressent ma manière intérieure de penser. Veux-je la sonder réellement ? Elle ne se trouve vraiment pour aucun des partis, et est un composé de tous. Je suis anti-jacobite, je les hais à la mort ; j’adore le roi, mais je déteste les anciens abus ; j’aime une infinité d’articles de la constitution, d’autres

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