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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


mais cela doit être dit entre vous et moi, je vous prie et sans nous passer. D’abord, je veux que vous m’envoyiez encore bien des choses de la Coste que je vous avais demandées cette fois-ci et qu’il ne vous a pas plu d’envisager, et cela sans que j’en puisse démêler les raisons. Je veux la plus grande partie de la porcelaine et ce qu’il y a de mieux en cristal. Je vous avais prié de m’envoyer cela, et vous n’en avez rien fait. Est-il bien honnête de déménager le château, maintenant que madame de Raousset annonce le projet d’y venir ? Cette raison ne m’arrêtera pourtant point. Je veux absolument que vous m’envoyiez la plus grande partie de l’office : premier motif pour que ce projet de madame de Raousset me contrarie fort ! Deuxième motif : personne au monde n’a la main légère comme madame de Raousset. Je connais ses tours et vous réponds que si vous ne lui dites pas très énergiquement : « Je réponds, madame, corps pour corps de tout ce qui est ici », avant trois mois le château est déménagé de la cave au grenier. C’est par expérience que j’en parle ; ainsi, croyez-moi, cher avocat.

Madame de Raousset emportera tout ; elle fera pis, elle gâtera tout ; portes, fenêtres, glaces, je vous réponds que voilà tout brisé, tout cassé, fondu ! Et moi, qui crains, comme vous savez, que les portes et les fenêtres ne battent, je vais être dans des transes affreuses tant que je la saurai là. Madame de Raousset fera plus, elle empruntera des fermiers, et ne rendra point. Vous savez que je ne veux absolument que personne couche dans mes deux chambres, celle d’hiver et celle d’été. Tant que vous régnez là seul, vous êtes le maître de l’empêcher ; quand vous aurez rendu madame de Raousset maîtresse du château, me répondrez-vous d’en faire autant ?

Dernière raison majeure et sans réplique. Je compte aller très décidément au mois de mai prochain à la Coste. L’établissement de madame de Raousset au dit château me gênera fort. La mettrai-je à la porte pour entrer ? Vous voyez, mon cher avocat, quelle foule d’inconvénients entraîne ce projet. Vous m’opposerez l’honnêteté, les circonstances, les raisons de ménagement ; j’ai balancé, pesé tout cela et n’ai rien vu là-dedans qui dût l’emporter sur mes raisons, sur les puissants motifs d’opposition que je viens de vous alléguer. Il faut donc qu’avec toute l’adresse dont vous êtes susceptible, dussiez[-vous] même employer le diable ou les revenants dans le château, que vous dégoûtiez le plus joliment et le plus poliment du monde madame de Raousset du très ridicule projet qu’elle vient d’enfanter ; que vous fassiez cela bien gentiment, de vous-même et sans me compromettre en quoi que ce soit. Il faut lui offrir en place de cela le château de Mazan, ou celui de Saumane qui sont aussi français que la Coste à présent, lui vanter infiniment l’une et l’autre de ces deux habitations et la dégoûter prodigieusement de celle de la Coste. Voilà mon dernier mot sur cet article ; vous me manderez je vous prie le résultat de vos négociations.

Rien n’étant ni fouillé ni ouvert depuis Aix jusqu’à Paris, après néanmoins de nouvelles informations prises à ce sujet, je vous avoue que je désirerais infiniment que vous m’envoyassiez la certaine cassette en question. J’y ai dedans des manuscrits que je veux absolument ravoir……