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— XXI —

Ces passe-temps comiques prirent fin après une longue lutte entre M. de Coulmiers et le médecin-chef de l’hospice, Royer-Collard, qui parvint à faire supprimer le théâtre des fous, le six mai 1813.

M. de Sade vécut jusqu’au deux décembre 1814. Ses relations avec l’extérieur avaient à peine été gênées par son internement. Ses démêlés d’affaires avec sa femme, ses enfants, ses créanciers et ses fermiers continuaient. Quesnet, sa dernière compagne, qu’il avait du reste pourvue d’une bonne hypothèque sur ses biens d’Arles, lui était restée fidèle. Elle avait ses libres entrées à l’hospice, où il la faisait passer pour sa fille naturelle. Peut-être y habitait-elle avec lui.

Sa mort fit peu de bruit. Il s’y était préparé par un testament écrit à l’hospice même, le trente janvier 1806, « en état de santé et de raison ». C’est, comme il convient, la pièce la plus sombre qu’il ait écrite, mais qui dira ce que la duplicité naturelle de l’homme de lettre ajoute encore d’artifice à la sincérité pour rehausser les couleurs de ce dernier masque ? Cependant il y a vraiment de l’horreur et une certaine grandeur dans les détails familiers et funèbres de cette page pleine de païennie, de dégoût et d’épouvante. M. de Sade y défend que son corps soit ouvert et que la bière soit clouée sur lui avant qu’il se soit écoulé quarante-huit heures depuis sa mort. Il demande que sa dépouille soit transportée sur une charrette, sous l’escorte d’un sieur Lenormand, marchand de bois à Versailles (celui-là même dont on trouvera le nom dans l’avant-dernière lettre du présent livre), jusqu’à sa terre de la Malmaison, commune de Mancé, près d’Épernon, et qu’elle y soit enterrée par le fermier dans un taillis. Il veut que des glands soient semés sur sa tombe afin que le taillis se reforme et l’efface, « comme je me flatte, dit-il, que ma mémoire disparaîtra de l’esprit des hommes ».

Ce double vœu n’a point été exaucé. Les phrénologues s’emparèrent de la tête du marquis. Elle était, selon Jules Janin, petite et bien conformée, « et les organes de la tendresse maternelle et de l’amour des enfants y étaient aussi saillants que sur la tête d’Héloise, ce modèle de tendresse et d’amour. » On verra ci-après comment M. de Sade en a usé avec les enfants qui lui ont été confiés et avec les siens. Cet affreux trait de comique posthume eût manqué à sa biographie.

Revenons au début de 1774. À ce temps le comte était mort, laissant pour régisseur général de ses biens un sieur Fage, notaire à Apt. Ce Fage déplaît au marquis, d’abord parce qu’on lui doit beaucoup d’argent à la suite d’un prêt qu’il avait consenti à cautionner et qu’il a