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MARQUIS DE SADE — 1791
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l’utilité dont chacun des articles de votre aimable lettre est à mon propre intérêt, et au plaisir extrême dont il n’est pas possible de ne pas jouir quand on converse avec vous.

La manière dont je vais m’y prendre pour cette réponse aura peu d’agrément pour le style et pour la contexture, mais elle aura du précis, de la régularité et ce sont, ce me semble, les qualités essentielles au style épistolaire. Tâchons d’être clair avec cela, puisque les comédiens prétendent que je suis quelquefois diffus, et notre besogne sera parfaite……

Je n’aime point d’abord le préambule qui semble m’accuser d’avoir tiédi à votre égard. Ce sont les amis froids que les lettres réchauffent ; ceux qui me ressemblent aiment les lettres, mais n’en ont nul besoin pour nourrir les sentiments que la plus tendre amitié leur inspire……

Non, mon cher avocat, non, avec les deux sommes de quatre mille sept cents livres que vous détaillez si bien, que j’ai selon vous (et très exactement) si bien reçues, on ne crie pas à la faim en général (et vous le savez). Ce n’est jamais que quand on dîne chez moi que j’entends crier à la faim.

Cependant cet argent s’use et les besoins, qui s’usent beaucoup moins vite, réclament un nouvel aliment. Cet aliment est de l’or ; on en demande à ses amis et, si les amis n’en envoient point, on se fâche. Voilà bien souvent l’histoire de M. Louis de Sade, n’est-ce pas, mon cher avocat ? Mais consolez-vous ; vous êtes trop raisonnable pour ne pas être bien sûr que c’est aussi celle de tout le monde……

À l’égard de Baguenaut, tout est maintenant oublié. Ce qu’il m’a fait est incontestablement très ridicule, mais ses raisons paraissent bonnes ; moyennant quoi, c’est, comme vous le dites fort bien, moi, moi seul qui ai eu tort de m’en formaliser. Vous voulez que je vous amuse de toutes les aventures pareilles qui pourront m’arriver. Grâce au Seigneur, il ne m’en survient pas tous les jours de semblables !.. Attendez, je crois qu’en voici une. On frappe à la porte de mon cabinet… Ouvrons… et si c’est une aventure, comme je le soupçonne à de fort petits pieds qui marchent, à une fort douce main qui heurte… en honneur je vous la conterai tout de suite… Eh bien ! précisément, c’est une aventure, mais pas pourtant aussi désagréable que celle de Baguenaut ! Le héros de la première ne voulait pas me connaître, l’héroïne de celle-ci ne me connaît que trop. Le maudit métier que celui de faire des comédies ! Cette femme vient d’apprendre qu’il y a pour elle un rôle charmant dans une de mes pièces qui va se jouer à son théâtre ; elle vient tout simplement me supplier de le lui donner. « Volontiers, madame, mais ne faudrait-il pas consentir avant ?.. » On m’entend, on me prévient ; j’ai tout ce que je veux… et peut-être plus qu’il ne m’en faut !.. « Allons, mademoiselle, voilà le rôle, mais vous le jouerez bien au moins ? — Oh ! monsieur, ne venez-vous pas de voir comme je sais bien jouer la comédie ? »

Nous disions donc ?.. Attendez !.. Oui… c’est que j’ai les yeux maintenant un peu troubles… Ah ! vous dites que je demande une nouvelle lettre de crédit ? Très assurément, je la demande… pour n’en user, comme nous