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1784


Madame de Sade a la permission de voir son mari plus souvent et on lui fait, mais un peu en l’air, espérer mieux encore. Ce sont les gens qui étaient les plus animés contre le marquis qui lui prodiguent maintenant les meilleures paroles.

Madame de Montreuil envisage toujours sans faveur la libération de son gendre. Il a mangé, sans compter du sien, cent soixante mille livres sur la dot de sa femme et ce qui reste suivrait le même chemin s’il reprenait la direction de ses affaires. La présidente affecte bien de croire, en écrivant à Gaufridy, que la plus grande partie des dettes est éteinte, mais la pénurie d’argent est toujours la même. Madame de Sade attend la paye des herbes du mas de Cabanes « comme les Juifs attendent le Messie » et le commandeur, loin de chercher à sauver pour son neveu la dépouille de l’abbé, ne remue ni pied ni pouce.

Mademoiselle de Rousset est au plus mal. La présidente en paraît affectée, car elle juge cette fille avec plus d’indulgence depuis le dernier entretien qu’elles ont eu ensemble avant son départ de Paris. Rousset était revenue de son aveuglement sur le marquis au point d’en disputer avec madame de Sade et, par cela même qu’elle lui tenait tête, madame de Montreuil la croit fort attachée à sa fille. Malgré sa perspicacité coutumière, elle paraît à mille lieues de soupçonner la raison intime de ce revirement. Quant à la marquise, elle exprime décemment le chagrin qu’elle éprouve, mais ses regrets font un écho insuffisant aux sentiments qu’elle témoignait naguère à son amie. C’est que la mort est un changement qui se consomme par degrés avant de s’imposer à la conscience. La marquise s’était attachée à Rousset parce qu’elle partageait sa passion avec une ardeur qui trompait son impuissance, mais, depuis plusieurs mois, elle n’est plus qu’une ombre détachée des réalités auxquelles son souvenir se superpose encore. On ne peut se défendre