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originalité du marquis est d’avoir tourné sa lunette contre lui-même et présenté, sans en dénoncer le grossissement, les champs microscopiques du monde larvaire qui grouille aux replis de toutes les consciences. Il a pratiqué, avant notre époque, cette investigation scientifique entée sur le cauchemar qui remet en question tout le savoir familier dont la vie quotidienne est faite ou embellie. On la poursuit sous nos yeux jusque dans la réforme des appareils de cuisine ; elle fournit à beaucoup de gens un moyen facile de parvenir ; elle met leurs pauvres outrances sous la protection des doctrines d’état ou donne l’estampille officielle à la fausse originalité de l’école ; elle constitue une des formes les plus malignes du snobisme. Le marquis au surplus vaut mieux que ses lointains disciples ; il a plus de naturel et de spontanéité dans la démesure, plus de détachement dans le cynisme. Il écrit des volumes d’horreurs entremêlées d’observations judicieuses, mais, si on le joint devant sa marmite, il avoue avec grâce qu’il a pensé aussi à la faire bouillir et que ses productions les plus empestées sont la gageure d’un libertin qui travaille sur commande et tire à la ligne.

Il faut, d’ailleurs, être bien neuf pour trouver de la nouveauté dans la matière qu’il exploite. C’est l’éternel propos des clercs interdits et des bacheliers dévoyés, lequel est chose littéraire par tradition. Mais le marquis ne sait pas le jeu. Il ne tend pas de pourpre ses tréteaux avant de mettre le masque au poing. Sa fantaisie se réduit à une longue grimace ; ses sophismes font paquet et se congèlent l’un l’autre comme les articulations d’un corps noué par les rhumatismes. Sa curiosité n’est pas encyclopédique et ne laisse aucun choix au lecteur. Il n’appointe pas de contraires ; il n’est même pas curieux de bien dire ; son vice, honni de rhétorique, ignore les plaisirs du vin et les joyeusetés de la farce ; il est si boucané qu’il inspire à chacun la crainte de commencer par où il finit.

Cette justification du marquis par la littérature procède d’une méthode qui ne pouvait manquer de conduire à un essai de réhabilitation complète du personnage. Tous les canons nouveaux de la psychiatrie et de la psychopathie sexuelle invitaient les amateurs à l’excuser par ses tares mêmes, sans que sa déraison fût en cause. Ils avaient du reste beau jeu à soutenir que M. de Sade était un grand calomnié, parce qu’il ne nous était parvenu de ses méfaits que l’écho d’un double scandale dont on ignorait le fin mot, et il ne manquait à leur apologie que la vraisemblance psychologique. L’erreur était moins de nier les coups