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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Je suis très décidée à me mettre au couvent. J’ai en vue les Anglaises de la rue Chapon. Si je ne peux pas y trouver de chambre, je verrai aux autres Anglaises ou à Sainte-Aure[1]. Je ne fais point part de mon projet à qui que ce soit. Quand j’y serai, je trouverai une raison pour tout le monde et pour ma famille ; en conscience je ne puis dire la vraie, cela ferait trop de tort à M. de Sade. J’ai été passer huit jours à la campagne chez madame de Villet pour remplir le devoir d’une amie. Je lui avais marqué qu’elle me proposait d’aller demeurer avec elle. Il s’est emporté comme une soupe au lait et a marqué les choses les plus piquantes contre Villet qui, s’il le savait, lui rendrait au centuple, piqué d’avoir marqué de l’intérêt pour lui. Je cache tout cela……


La marquise fait part à mademoiselle de Rousset de son installation à Sainte-Aure et de la compagnie qu’elle y a trouvée. (Sans date).

……Je suis ici établie avec le reste des vieilleries……

Du reste je me trouve comme ça un peu gênée dans cette maison. La mère Esprit-de-Jésus n’est plus prieure ; elle est à l’infirmerie où l’on meurt de la poitrine comme à l’ordinaire.

J’ai l’appartement du premier, du côté de la boulangerie. C’est le mieux de la maison : une grande chambre, petite antichambre et cabinet.

Ma société, à laquelle je ne me livre pas, est une veuve de marchand qui a trois ans plus que moi, ayant passé sa vie au couvent, en ayant fait plusieurs, sortant du petit Saint-Chaumont[2], bavardant beaucoup, fine et aimable. L’autre est une fille de notaire qui a vingt ans, bonne enfant, mais point faite pour le couvent et susceptible du bon comme du mauvais.

Le pain, l’on n’en manque pas, mais la nourriture est juste ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim[3]. Les pensionnaires en chambre n’ont nulle communication avec les religieuses ; la dépositaire[4], la prieure, celle qui apporte, voilà tout. Cela me fâche pour votre mère Esprit-de-Jésus que je croyais prieure, ce qui m’avait décidée pour cette maison. Il y a une agrégée, nommée mademoiselle Martin, qui accompagne tous les

  1. Sainte-Aure, maison pour jeunes filles fondée par l’abbé le Fèvre, sous-précepteur des enfants de France. La maison de la rue Chapon, ancienne rue Capon, était un couvent de Carmélites. Il y eut, d’autre part, à Paris plusieurs couvents de filles anglaises, où l’on priait pour la conversion du peuple anglais au catholicisme. On sait que Georges Sand a consacré des pages fort intéressantes de son « Histoire de ma vie » à celui de la rue des Fossés-Saint-Victor, où madame Aurore Dupin de Francueil résida à deux reprises et qui fut converti en prison sous la Terreur.
  2. Ou Petite Union Chrétienne, rue de la Lune ; la maison mère était à l’hôtel Saint-Chaumont, rue Saint-Denis.
  3. Madame de Sade payait deux cents livres pour le logement et trois cents pour la nourriture. La Jeunesse et Agathe avaient leur chambre « sous une reconnaissance comme elle m’appartient ».
  4. Religieuse qui a l’argent, les archives, les titres en dépôt.