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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

Rayolle, juge de la Coste, est vieux et imbécile. Son fils et Gaufridy convoitent tous deux la judicature : l’absence du seigneur fournit à la marquise une commode défaite pour ne pas bouger.

Gothon tourne à l’amour comme l’hélianthe à la lumière. Grégoire le Nîmois promet de l’épouser, mais il est catholique et point de justes noces sans abjuration. Un mari qui vient si à propos et prend tant de choses à son compte vaut bien une messe. Gothon s’y rend à la barbe des protestants de la Coste qui ont le sang des vieux Vaudois et sont bien plus sectaires que religieux.

Marais est mort. Madame de Sade connaît quelqu’un qui sera dispensé d’aller lui brûler la cervelle. Mais la présidente lui avait avancé quatre mille livres dont il n’a point laissé de reconnaissance et c’est du bel argent perdu.

Madame de Sade a mis en dépôt la grosse somme reçue pour la libération du marquis. Le succès est certain : madame de Montreuil et ses créatures sont impuissantes. Mais on veut six mille livres net et le magot est déjà écorné. Les faux frais s’accumulent. M. de Sade fait grand chère dans sa prison et tire sur sa femme des mandats qui la ruinent. Elle s’est refusée à payer la pension du captif, mais ne peut se refuser à payer ses dettes. La note du libraire est particulièrement lourde. La marquise n’a plus que douze livres dans sa bourse et lésine si bien qu’on la croit avare. Depuis l’arrêt madame de Montreuil ne lui a pas donné un sol des quatre mille livres annuelles qu’elle doit lui payer pour sa dot et son dessein secret est de pousser les créanciers à agir en parlement pour provoquer une administration des biens. Déjà le juif Cadet Sayon menace de poursuivre l’honnête Paulet qui a cautionné une dette de la famille. On évitera le piège de la présidente en faisant sortir le marquis avant six semaines, mais il faut garder le secret, ne prêter aucune attention aux propos des Costains qui parlent pour faire parler et trouver encore dix-huit cents livres.

La marquise est si mal en ses affaires qu’elle tire, pour la première fois, une traite sur l’avocat, sans l’avoir prévenu. Lions y fera honneur, en dépit de la mauvaise récolte et du bas prix des laines imputable à la guerre sur mer, mais il ne faut pas laisser s’enraciner cette pratique.

Malgré ses soucis d’argent, madame de Sade observe vis-à-vis de sa mère, une attitude pleine de fierté. Elle ne lui a pas soufflé mot du marquis depuis un an et prétend recevoir de lui ce qui lui est nécessaire pour vivre.