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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


ont joué différents rôles dans la cour des Carmélites, au point que l’aumônier des religieuses en était tout intrigué. Je n’ai appris leurs jeux et leurs manèges que tard. Si je l’avais su plus tôt, je les aurais vus de plus près. Madame de Sade fit d’abord la charité à un qu’on avait laissé monter, je ne sais pourquoi. Le lendemain, elle reçut un paquet cacheté avec des vieux titres de noblesse ; un pauvre gentilhomme honteux implorait ses bontés. Comme elle avait donné la veille à un soi-disant soldat qui ne dit pas un mot de vérité dans le cours de sa narration, madame de Sade avait envie d’envoyer promener le gentilhomme ; par réflexion, elle mit une pièce dedans et recacheta le paquet en le faisant remettre au portier. Comme j’avais ignoré la charité de la veille, je me tuais de dire que la charité serait toujours bien faite, quand même ce serait un fripon. Un certain pressentiment me faisait soupçonner quelque chose, sans trop démêler ce que ce pouvait être. Le lendemain j’appris combien ces personnages intriguaient les gens de la maison. La Jeunesse disait : « Il y a quelque chose là-dessous ». Les autres : « Ce sont des fripons qui veulent voler l’église. Voilà tant de temps qu’ils ne font que rôder ». Je me montrai le lendemain aux fenêtres. Je vis le jeu de deux femmes qui avaient succédé aux hommes ; madame la marquise s’y mit aussi. Je sortis seule à pied et fis une très grande course pour voir si quelqu’un me suivrait. Je ne m’aperçus de rien ; je fus le soir à la police pour remplir une commission (en voiture à la vérité) ; je ne vis rien encore. Depuis ce moment, nous n’avons plus d’espions. Qu’est-ce qu’ils veulent, que demandent-ils ? Je n’en sais rien !

Quelqu’un m’a dit que c’était pour me faire peur et m’obliger à m’en aller. Je veux bien croire que si on pouvait me mordre on le ferait, mais je suis si maigre qu’il n’y a pas moyen de mordre……

Vous êtes d’un pétulance, monsieur l’avocat, à faire trembler la femme la plus intrépide. Que puis-je vous dire, que puis-je faire pour captiver votre vivacité charmante ? Je ne suis plus bonne à rien. Le monde, que je hais par sa dissimulation, me fait désirer une retraite champêtre éloignée de tous mortels, en un mot un hermitage. Si vous voulez vous faire frère quêteur, je vous admettrai dans mon enclos……

M. le marquis se porte bien ; j’en juge par une lettre extrêmement folle qu’il a écrite à la Jeunesse. Madame la marquise se soutient dans son état d’embonpoint, et moi toujours maigre et toujours belle, c’est-à-dire plus de boutons……


Mademoiselle de Rousset a cessé de correspondre avec le marquis. Elle reporte sa tendresse sur l’avocat qu’elle assure de sa constance. (9 novembre 1779).

……La raison du silence de M. le marquis ne peut être que le caprice ou la politique. Si c’est la première, vous aurez cela de commun avec moi. Après m’avoir dit des injures et des duretés, il m’a priée de ne plus lui écrire. Vous pensez bien que, d’après une prière aussi belle, j’ai eu assez