Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


INTRODUCTION




Louis-Donatien Aldonze, marquis de Sade, a acheté fort cher une renommée qui, de son vivant, était déjà légendaire. Son nom, bien que tout parfumé de mignotise, est associé à des crimes dont il n’existait pas de preuves, et dont la preuve même ne suffirait pas à expliquer ses malheurs. Il a successivement langui dans les geôles du roi, dans les hideuses réserves de la Terreur et dans une maison de fous de l’Empire. Enfin il jouit du prestige d’une œuvre écrite dont les exemplaires taboués dorment dans l’enfer des bibliothèques. Cet enfer est, comme l’autre, le royaume de l’ennui, mais il entretient diablement la réputation de ceux qui y entrent.

La sienne ne s’est jamais démentie, mais elle a été longtemps détestable. Les gens qui l’ont connu ou qui ont écrit sur son compte n’ont parlé de lui qu’en s’excusant de le faire. Mais le temps illustre toujours ce qui lui résiste, et notre époque excelle à trouver du nouveau, même dans le passé. Les plus récents commentateurs de M. de Sade assurent qu’il n’a pas été pendu à son clou parmi les marionnettes de l’histoire : ils voient en lui le plus hardi penseur de son temps et un précurseur du nôtre.

Ces procès en révision permettent à leurs auteurs de peupler de grands hommes qui leur ressemblent les galeries où ils ne désespèrent pas d’entrer ; ils ont en outre l’avantage de fournir une ascendance spirituelle aux novateurs qui se méfient de leurs disciples. Par contre ils sont parfois le fait de gens qui n’ont reçu qu’une initiation exotérique aux systèmes dont ils exploitent littérairement le succès, ou ne possèdent qu’une connaissance insuffisante de ce que contenait déjà le dépôt de la sapience humaine. Il faut voir ce qu’il en est du marquis, avant de retoucher l’image traditionnelle qui nous en a été transmise.