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MARQUIS DE SADE — 1779
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de lui écrire. Encore un coup, je ne comprends pas cela. Adieu, monsieur ; de vos nouvelles, si vous voulez que je vous aime.


Mademoiselle de Rousset, compromise et insultée par le marquis, se doit à elle-même de ne pas aller le voir ; elle est tentée de tout planter là et mêle aux médisances qu’elle envoie à Gothon et à l’avocat un sentiment avantageux de son propre mérite.

Cette lettre est pour vous, monsieur l’avocat, ainsi que pour mademoiselle Duffé ; l’adresse n’est qu’une tournure. Vous en comprendrez la raison. Le 29 mai 1779.

Si les affaires ne vont pas plus vite, mademoiselle, ce n’est en vérité pas ma faute. Malheureusement la personne a la tête mauvaise et très mauvaise. Je me calcine le sang à pure perte, sans prévoir encore une fin. La personne la plus intéressée, bien loin de me seconder, gâte tout par ses imprudences multipliées. Après m’avoir écrit bien des sottises (je ne parle pas de celles adressées à sa femme, elles sont journalières), il a voulu me compromettre fort mal à propos, en divulgant aux ministres que je lui écrivais et lui donnais des avis secrets. J’en ai reçu des reproches. Je n’ai pu le nier puisque les réponses qu’il faisait passer par leurs mains étaient pleines d’invectives. Ils m’ont excusée et absoute par la droiture et l’intention de mon cœur. « Vous voyez, m’ont-ils dit, combien il a la tête mauvaise ; vous qui ne lui écrivez que des choses agréables, utiles et amusantes, il les prend presque toujours à gauche. Oh ! il est bien où il est ; de lui donner la liberté c’est vouloir s’exposer à des nouveaux chagrins ! S’il est un temps où il doive se gêner, ce serait celui-ci, où nous avons tous les yeux sur lui ; il le sait, il en est prévenu ; ne le serait-il pas, cela se devine aisément ; d’ailleurs vous le lui avez écrit sous main, nous savons cela. Quel profit en tire-t-il ? Aucun… » Les esprits sont si prévenus contre lui que bientôt nous n’oserons plus ouvrir la bouche. Les histoires de douze ans, presque rien dans leur principe, et augmentées par la malice des hommes, sont tout aussi fraîches que si elles s’étaient passées hier. On ne peut pas parler de lui sans que les pavés vous menacent de vous écraser…… Les démarches jusqu’ici ont été infructueuses ; il est vrai que de vous à moi elles n’ont pas été bien vives, parce qu’il n’y a que la clef d’or qui fait tout mouvoir ici. J’ai mis madame de S. à même de connaître cette vérité par elle-même ; elle est neuve comme un fifre pour tout ce qui s’appelle sollicitation. Le ministre (car je commence à croire qu’il y est au moins de moitié) se soucie très peu si les affaires sont en désordre ou non. M. de S. sera totalement ruiné. « C’est un malheur, répond-on ; que ne donne-t-il sa procuration et se conduit-il mieux ? »

Il serait très aisé à madame de le voir, ainsi que moi. Mais à quoi cela nous servirait-il ? Je crains qu’il ne soit quatre fois plus diable après qu’auparavant. Il nous chantera pouille à l’une et à l’autre, et je l’enverrai