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MARQUIS DE SADE — 1779
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Mademoiselle de Rousset, pour se venger, dit-elle, du marquis dont elle est devenue la bête noire, conçoit l’idée de faire présenter une supplique en sa faveur par le curé et les notables de la Coste ; Gaufridy écrit le placet et le fait signer aux vassaux dont chacun manifeste en cette occasion sa petite personnalité, sa courtisanerie ou sa mauvaise humeur. « Dans les choses les plus simples, ils veulent toujours mettre du leur et ne font que des bêtises. » Une maladresse du nouveau viguier de Saumane a remis en question un vieux différend entre le seigneur et la communauté, touchant la ségrairie de la montagne et les droits que celle-ci prétend tenir d’une ancienne sentence du quatorzième siècle. La marquise, avant d’accepter l’arbitrage qu’on lui propose, demande qu’on vérifie si, dans son long procès contre la communauté, l’abbé n’a pas précisément obtenu, au temps de la réunion, un arrêt du parlement qui a dû conserver sa force malgré la restitution du Comtat au pape. Le trésorier de la noblesse réclame d’autre part deux mille trois cent quarante quatre livres de taxes arriérées sur la terre de la Coste. Une chapelle familiale d’Avignon tombe en ruines et le problème est de savoir comment on évitera de la laisser interdire sans avoir à la faire réparer. Les dettes de la marquise augmentent : le loyer, la capitation la ruinent. Si le marquis venait à sortir, on n’aurait pas d’argent pour le conduire en Provence. La vie à Paris est un gouffre. Il serait moins coûteux d’envoyer M. de Sade et les siens faire des économies chez eux.

Une année s’est écoulée depuis l’arrivée à Paris de mademoiselle de Rousset. Un Provençal, qui arrivait d’Aix, a tenu au ministre des propos dénonciateurs qui ont empêché la mise en liberté du marquis. La maison des Carmélites est maintenant entourée d’espions de police.

Cependant les démarches de la marquise ont éveillé l’intérêt de certains officieux, des commis de bureau peut-être, qui l’ont persuadée que tout se fait à Paris, mais avec de l’argent. La voilà bientôt engagée : « tous les ressorts jouent » ; la somme demandée est de deux mille écus d’abord, de huit mille livres ensuite. À peine l’a-t-elle promise qu’on lui met l’épée dans les reins. Il faut cet argent à jour dit ou tout est perdu. Il faut aussi de quoi payer les dettes courantes et parer aux dépenses du départ. Gaufridy bat le fer des deux côtés : il s’adresse aux juifs, mais ils sont prudents, aux fermiers, mais ils sont bavards. Puisque l’avocat veut bien engager sa propre signature, le mieux est qu’il emprunte en son nom ; on lui donnera ensuite toutes les reconnais-