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Mademoiselle de Rousset entretient avec Gaufridy un long commerce épistolaire qui ne laisse rien percer du tour amoureux que prennent ses relations avec le marquis. Ce dernier l’appelle sainte Rousset et lui envoie des vers. La demoiselle est dans tous les secrets. Elle est prompte à concevoir et à entreprendre, mais le dévouement vrai ne se mesure pas toujours au mouvement qu’on se donne, et son activité, qui agit du dehors, ne connaît ni hésitation ni angoisse. Elle est plus ménagère de l’argent de madame de Sade que la marquise elle-même, mais il en faut maintenant pour deux.

On plaide, d’accord avec lui, contre le commandeur, héritier bénéficiaire de l’abbé, et contre les créanciers de la succession en se demandant s’il faut y comprendre l’Espagnole. Du reste, il n’y a rien à tirer du vieil oncle dont l’égoïsme fait titre non contesté et même prime. Autant vouloir cueillir de l’huile à la fourchette qu’essayer de le fixer, mais on l’entretient dans l’idée qu’il veut du bien à ses petits-neveux, parce qu’elle ne lui viendrait pas toute seule, et on le flatte en toutes choses, quitte à le ramener au fait quand il se perd dans ses raisonnements à perte de vue.

Le marquis persiste dans son indolence. On veut ruiner ses fils en le tenant sous clef, mais il en aura, lui, toujours assez pour ses vues. Les seuls objets dont il consente à parler sont ceux qui lui font vivement regretter la liberté perdue : ses livres et son cabinet de médailles, les matériaux entassés par l’abbé pour des ouvrages dont il espère pouvoir faire son profit, son château, les arbres et le labyrinthe de son parc. L’unique lettre qu’il écrit à Gaufridy contient, en quelques lignes inconsciemment juxtaposées, un compliment sur la mort d’une fille de son régisseur et une plaisanterie sur les bonnes relations qu’il avait nouées avec madame Gaufridy, pendant que son mari était à Aix, au grand danger pour l’avocat d’être cocu.