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À Monsieur Pierre BOURGUE


Je n’ai pas à vous dédier un livre qui est déjà vôtre puisque c’est vous qui avez tiré les lettres qui le composent de l’armoire où elles dormaient depuis cent vingt ans sous la garde de vos devanciers.

Ils ont veillé, peut-être avec quelque inquiétude, sur ce fonds dont l’origine était suspecte ; mais vous avez compris que le moment était venu de changer en chronique une partie de la légende de M. de Sade.

Les vieux papiers sont l’âme des vieilles demeures ; ceux du marquis ajoutent l’harmonie d’un joli contraste à l’accord noué par le temps entre les confidences qu’ils contiennent et les murs qui les ont celés.

J’ai connu les disciplines de cette maison ; elles étaient à l’image, aujourd’hui brouillée, de notre vie provinciale, toutes de savoir et de dignité.

À une époque qui se place un peu au-delà de nos communs souvenirs, Guigou, l’un des plus grands peintres de la Provence, noircissait du papier timbré sous le toit d’un chef de votre famille qui sut deviner son talent. Cette tradition n’est point morte. Vous avez vu l’intérêt de la correspondance dont vous m’avez si obligeamment confié le dépôt, et j’ai fait mon profit, en la publiant, des travaux de l’un de vos proches sur l’histoire révolutionnaire de notre pays. Vieille maison et gai savoir. Le souvenir de ce milieu où il a eu des attaches m’a en secret rendu plus indulgent que je n’ai voulu le paraître pour le fantasque client du notaire Gaufridy. Je vous l’avoue, mais ne le dites pas : Ce n’est pas lui surtout que j’aurais voulu atteindre. Il me semble parfois l’entendre abaisser le heurtoir dont les coups éveillaient tous les échos de la rue qui menait de votre porte à la mienne, et je me défends avec peine d’un peu de faiblesse pour ce gars de mauvais prédicament.

P. B.