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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


ne le prévienne pas[1]. Encore un coup, rendre, et rendre tout de suite, qui paraît être l’idée à laquelle vous tenez le plus, ne convenait nullement aux circonstances. Aujourd’hui un étranger vient demander sa fille à coup de pistolet, après-demain un paysan viendra demander sa journée à coup de fusil. Ne prouvent-ils pas déjà assez leur indépendance, en allant les uns à la chasse, les autres à la montagne, etc… ? Et d’ailleurs, je pars toujours du principe que cette fille entre les mains de cet homme furieux était un instrument très dangereux, et qu’il était extrêmement important qu’elle ne partît pas sans avoir déclaré qu’elle était contente et n’avait à se plaindre de rien.

Au reste, entre nous, rien de plus certain que cette fille n’a à se plaindre de rien, et croyez-vous que je n’aie pas pensé comme vous que son âge me mettait à l’abri ? Mais, avoir couché avec elle ne serait pas là le grief ; certainement je n’ai pas craint celui-là, j’ai craint et j’ai dû craindre bien pis, d’un gueux dont le plus grand étonnement était de voir sa fille vivante, et qui a été une demi-heure à se frotter les yeux ne pouvant le comprendre. Je vous demande un peu qui ne serait pas irrité à ma place, et si j’étais fondé ou non à le mettre à la porte ! Tant que vous voudrez, rien de plus juste que de rendre une fille à son père, mais qu’il vienne la demander honnêtement ou sans cela il ne l’aura pas. Ma conclusion est donc que tout ce que j’ai fait, j’ai cru le devoir faire, et que je le ferais encore, et que la procédure et le décret seront poursuivis jusqu’aux enfers, quand ce bougre-là, par anticipation, devrait y descendre tout en vie.

La fille est inquiète, tremble qu’on entreprenne quelque chose sur son père et s’informe à tout instant. Si elle venait à savoir que l’on entame une procédure, elle ne dirait plus ce que nous voulons qu’elle dise. Ces considérations nous ont engagé à la faire entendre la première. Ne pourra-t-on pas placer ce qu’elle aura dit avant ou après les autres témoins ? Lundi au soir n’a point d’inconvénient, puisque vous êtes affairé le matin. Je vous embrasse.


Un anonyme avise Gaufridy que dix cavaliers et un exempt vont partir pour arrêter M. de Sade. (Sans date).

……La présente reçue, députez un exprès à M. le marquis de Sade à la Coste pour l’avertir de se tirer devant, attendu que dans deux ou trois jours il doit partir dix cavaliers et un exempt pour l’aller arrêter. On

  1. M. de Sade écrit dans une autre lettre sur le même objet : « En un mot je regarde comme une très grande faute de ne pas avoir prévenu M. de Castillon. Madame de Montreuil, qui veut être instruite, comme vous savez, des moindres particularités et à qui il faudra mander celle-là, le trouvera sûrement très mauvais. Quand cette affaire que j’eus à Paris, il y a six ans, arriva, je me souviens que sa première démarche fut d’aller prévenir, et c’est à cela que l’on dut l’arrangement prompt qu’il y eut. Cependant, dans ce premier cas, j’avais insulté et ici je le suis. » L’affaire dont parle ici M. de Sade est, vraisemblablement, celle de la Keller bien qu’elle remontât à huit ans et non à six.