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MARQUIS DE SADE — 1776
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conduite lorsque le cas est le même. Et comment douter qu’une fille bête et souple comme celle-ci ne se prête aux vues de son père avec la plus grande facilité, même dans les suppositions les plus certaines (qui, dans ce cas-ci, se changent en réalités) qu’elle n’a rien à déposer. Il faut donc se méfier, ne pas rendre tout de suite surtout, parce qu’il ne me convenait pas de plier devant un homme qui débutait par m’insulter, chose qui par la suite aurait pu devenir du plus mauvais exemple, dans ma terre surtout, et dans une terre comme celle-ci, où il est si essentiel de contenir les vassaux dans le respect qu’ils doivent et duquel ils ne sont que trop portés de se soustraire à tous instants. Tout ce qui s’est passé depuis trois ans le prouve avec assez d’évidence. C’est cette même considération qui m’engagera à poursuivre cette procédure avec le plus grand acharnement sans que rien, soyez-en bien sûr, puisse m’engager à la soustraire ou à la casser. Voilà donc les raisons qui m’ont engagé à ne pas rendre tout de suite, et je suis persuadé que j’ai très bien fait et qu’on m’en louera à Paris, où j’ai encore mieux fait d’écrire, quoi que vous en disiez, parce qu’à avoir une cuisinière il n’y a rien qui trouble l’ordre dont vous parlez et, qu’à la venir chercher à coup de pistolet, il y a des choses qui troublent beaucoup l’ordre, et que j’ai donc très bien fait de me plaindre. Je ne sais sur quel ton vous avez écrit à Paris, mais si vous ne l’avez pas fait sur ce ton-là, et si surtout vous n’avez pas dit que tout le train qu’on me faisait était la cause de toutes les suites fâcheuses… vous avez très mal fait, et agi comme quelqu’un qui n’est point mon ami, et qui ne prend point mes intérêts ; car rien n’était si essentiel que de saisir ces [choses] sous cette face et d’en profiter. Mais il est dit que parce que je suis malheureux tout doit tourner contre moi, et je suis persuadé que si cet homme-là m’avait tué on aurait encore dit que j’avais tort. Assurément j’ai été très mal servi dans cette affaire (non de vous, parce que vos torts sur cela viennent d’une façon de penser que vous croyiez bonne et moi fausse), mais de tous les autres, et très assurément aussi je m’en souviendrai. J’ai reconnu que tous les Costains étaient des gueux à rouer, et certainement je leur prouverai un jour mon mépris pour eux et ma façon de penser. Je vous assure qu’on les rôtirait tous l’un après l’autre que j’en fournirais les fagots sans sourciller. Ils peuvent s’attendre qu’en temps et lieu je ne les ménagerai pas.

Vous revenez à madame de Montreuil qui croira, sur cette lettre, que l’ordre etc… Mais oserai-je vous demander si, pour faire régner l’ordre dans ma maison, il faut que je fasse ma soupe moi-même ? Jamais, d’avoir une cuisinière, surtout d’un âge et d’une figure aussi peu suspecte que celle-là, ne troubla l’ordre, et certainement, sur votre lettre, elle ne croira pas l’ordre de la maison troublé. D’ailleurs vous la connaissez fort mal. À supposer même ce que vous voulez faire entendre, n’imaginez pas que madame de M… fût fâchée qu’il y eût chez moi quelqu’un d’honnête qui pût m’être agréable ; je vous assure qu’elle serait la première à l’approuver pourvu que cela ne fût pas sujet à esclandre. Ce qu’elle n’aime pas c’est qu’il y en ait, et ce qu’elle déteste encore plus (ainsi que moi) c’est qu’on