Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1776
63


ment avec un louis qui lui serait donné pour son voyage, toujours de la part de sa fille, ne voulant jamais avoir l’air de plier dans cette affaire, ce qui aurait détruit l’objet de la procédure méditée ; qu’en outre on s’engagerait verbalement, et toujours par la médiation de Paulet qui se rendait responsable, de faire reconduire la fille à Montpellier dans les premiers jours du Carême, délai que je désirais pour avoir la réponse de Paris à la lettre ci-jointe que voici et que je vous prie de faire partir d’Aix avec les incluses. L’homme a consenti à tout, grommelant pourtant entre ses dents qu’il ferait mieux d’aller porter sa plainte à Aix. Le dimanche il est resté dans le village à cause du mauvais temps et le lundi matin il est parti, assurant qu’il allait décidément à Aix, et il en a effectivement pris la route.

L’objet de ma lettre est donc, puisque vous êtes à portée, de vous prier de voir Mouret et de savoir si cet homme a paru ; s’il porte plainte, vous êtes en fonds pour répondre. Alors vous direz le fait à M. de Castillon, lui demanderez son conseil, l’assurant que notre parfaite confiance et considération pour lui nous fera faire aveuglément tout ce qu’il conseillera.

Mais vous aurez la bonté d’objecter que, quand on vient demander une chose juste, on ne s’y prend pas avec insolence, qu’un maître de maison, insulté chez lui, est en droit de mettre dehors celui qui l’insulte, et que, quand il le fait aussi doucement que je l’ai fait, cela ne donne pas droit à celui qui a insulté de renouveler l’insulte à coups de pistolet. D’ailleurs n’y a-t-il pas ici eu assassinat prémédité ? De quel droit cet homme arrive-t-il chez moi avec des pistolets (arme très défendue) et plein ses poches de lingots ? Devait-il supposer un refus, et, le supposant, doit-on se faire justice soi-même.

Inutilement objectera-t-il qu’on lui a refusé sa fille, et s’il forme sa plainte sur cela il se conduira comme un sot, puisqu’il est convenu avec M. Paulet, et qu’il a ensuite dit à plus de vingt personnes, qu’il consentait à la laisser jusqu’au carême ; s’il part consentant à cela, il ne peut donc pas former plainte sur notre refus. Cette plainte n’est donc plus qu’une récrimination sur la procédure qu’il se doute bien qu’on va faire contre lui, et l’on devra non seulement prendre notre défense si cet homme agit, mais même encore supplier M. de Castillon de le faire punir, et pour ses insolences, et pour le port d’armes, et pour les coups tirés ; s’il ne le fait pas, la vie de madame, et la mienne, n’est pas en sûreté, etc… Je laisse à votre retour à vous faire voir toute la part que le curé a à cette affaire. Vous imaginez bien que notre lettre à la présidente est des plus fortes pour obtenir vengeance de cet homme et de ceux qui l’ont soufflé. Envoyez-nous, par notre exprès, le plus de nouvelles et de conseils que vous pourrez, et n’oubliez pas d’écrire un mot à la présidente, soit que cet homme ait paru ou qu’il n’ait pas paru. Je lui annonce que vous allez lui écrire d’Aix ; faites-le et n’oubliez pas, je vous prie, de bien appuyer sur ce que c’est l’état où elle me laisse qui produit toutes ces scènes……