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MARQUIS DE SADE — 1775
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mon adresse à Rome pour me faire passer de l’argent (voilà l’article le plus faux et le plus traître, c’est un piège) et que les lettres de change qu’on fait passer à l’étranger sont toujours à soixante jours de vue ? En vérité, ou l’on me croit aussi imbécile que les gens qui lui disent tout cela, ou l’on doit me rendre la justice d’imaginer que j’en sais assez pour sentir que tout cela sont des détours pour faire travailler mon argent et le garder trois ou quatre mois. J’offre à madame de S. dix certificats des plus fameux banquiers d’Italie qui affirmeront qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. J’ai d’ailleurs vingt exemples du contraire sous mes yeux……

En vérité, je suis bien las d’être pris pour une bête et de voir qu’un tas de gens, que je jouerais sous jambe si je voulais m’en mêler, et qui à peine sont sortis de leur coquille et de leur village, veulent m’en imposer, m’aveugler, me faire croire ce qu’ils veulent, à moi, moi qui dûperais le bon Dieu si je l’entreprenais ! Monsieur, j’attends mes mille écus au plus tard le vingt-cinq octobre à Rome sous une lettre à vue et en argent de France. Madame de S. vous dira ce que je lui mande à ce sujet. Si la lettre retarde de vingt-quatre heures seulement, le lendemain vingt-six je m’embarque à Civitta-Vecchia et suis à la Coste à la Saint-Martin pour avoir le plaisir de manger le dindon avec vous, mon cher avocat, et l’ami loyal et franc Perrottet, gaiement… là… au foyer, et le tout avec d’autant moins d’inquiétude que je mène avec moi six déserteurs bohémiens que j’ai engagés ici et qui sauront me défendre des valeureux et braves cavaliers provençaux. Je vous embrasse.

Faites-moi le plaisir de me dire aussi ce que c’est que cette multiplicité de réparations à la Maison-Basse et à Lavelan où l’on engage madame de S. dès que j’ai le dos tourné ? Est-ce là le moment ? et devriez-vous souffrir cela ? Je ne veux entendre parler d’aucune réparation pendant mon absence ; je les défends et les interdis toutes absolument, excepté celle du château que j’ai prescrite à madame, et, si on en fait quelqu’une malgré mes ordres, je donne ma parole d’honneur de ne les passer dans aucun compte, ni des fermiers ni du maçon. Si ces gens-là et madame de S. ont de l’argent mignon à mettre en réparations qu’ils me l’envoient : je suis dans ce moment-ci la partie la plus souffrante. Est-il donc à jamais décidé que je ne puisse tourner les épaules sans que l’on s’empare de cette pauvre petite femme pour lui faire faire mille bêtises et lui persuader mille impostures. Dieu ! quelle horreur j’ai pour la Provence ; convainquez-vous en bien, mon cher avocat, je ne désire que l’instant où je pourrai l’abandonner, moi et les miens, pour jamais.


Lions raconte la visite qu’il a faite à Nanon à la maison de force d’Arles. « Arles, ce 7 octobre 1775 ».

……Je vois que madame de Sade a écrit à madame de Montreuil au sujet de Nanon Sablonnière. Je la vis hier et lui fis part de votre lettre pour lui faire comprendre que ce n’est pas sans raison qu’elle est détenue dans une maison de force plus honnête qu’elle ne méritait. Elle me dit toutes les