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SASCHA ET SASCHKA.

fois, trois fois, mais, de guerre lasse, il finit par se prêter à ces petites familiarités, car il est presque impossible à un Polonais ou à un Russe de manquer de politesse envers une femme.

Tout en faisant cela, la comtesse lui posait constamment des questions sur les poètes et sur les chants populaires de la Petite-Russie, sur lord Byron et sur Heine, sur la Grèce et sur la question de l’esclavage, ainsi que sur les différents sujets qui occupaient alors les esprits. Le jeune homme lui répondait avec calme et mesure, sans paraître faire attention à ses tours de phrases étudiés et à ses regards coquets.

« Chantez-moi donc une romance, dit-elle tout à coup.

— Je ne connais que des chants populaires.

— C’est précisément un de ceux-là que j’aimerais à entendre ; mais quelque chose que je comprenne ; il ne faut pas qu’il s’agisse de héros et de batailles, mais d’amour et du bonheur d’aimer. »

Saschka se mit au piano et chanta :

Que veut le monde de moi ?
Que lui importe-t-il donc ?
Si nous ne devons point nous aimer ;
Que celui qui le pourra nous sépare.

Dieu lui-même a de toute éternité
Uni nos cœurs
Dans la joie et dans la douleur ;
Nul homme ne pourra les désunir.

« C’est un joli chant, dit la comtesse quand il fut terminé ; qui croirait qu’il a pris naissance chez des