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SASCHA ET SASCHKA.

fortable, qu’au sein de son bonheur ses yeux se remplissaient de larmes.

« Maintenant je vous comprends, dit-elle un jour à Saschka, vous n’aviez excité chez moi, jusqu’à ce jour, qu’un sentiment d’admiration, mais j’éprouve aujourd’hui pour vous une véritable sympathie. »

Marga retourna chez le curé plus tôt qu’elle ne s’y était attendue. Ayant été surprise par un orage au milieu de la forêt voisine, où elle cherchait des fleurs et des baies, elle courut s’abriter à la cure ; elle ressemblait à une Russalka[1] avec ses vêtements trempés, ses cheveux blonds déroulés, auxquels pendaient des gouttes d’eau transparentes. Spiridia eut pour elle des soins vraiment maternels ; elle l’aida à se déshabiller à la hâte, puis lui donna des habits de sa propre garde-robe ; elle fit sécher sa chevelure, qu’elle noua ensuite avec un ruban de soie bleue ; elle ne se rendit à la cuisine pour lui préparer du thé que lorsqu’elle vit la jeune fille assise dans la grande chaise, et parée de sa kazabaïka bordée et doublée de fourrure noire.

Le père et le fils jouirent alors d’un bonheur qui leur était rarement accordé : celui de se trouver ainsi en face de la gracieuse châtelaine et de la servir. Tandis qu’elle cachait ses mains raidies par le froid dans la douce et chaude fourrure des larges manches de la kazabaïka, Sascha tenait devant elle la tasse pleine d’un thé chaud et fumant, que Saschka remuait avec une petite cuiller. Le jeune homme éprouvait un charme tout particulier à voir sa bien-aimée vêtue de

  1. Ondine de la Russie.