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SASCHA ET SASCHKA.

plaignait de son estomac, de ses dents, de cent autres choses, quoiqu’il fût capable de faire disparaître le contenu de tous les plats.

Sascha disait souvent : « Un homme possède autant d’âmes qu’il parle de langues ». Peut-être n’était-il point l’auteur de cet axiome, mais, si le dicton était vrai jusqu’à un certain point, le brave curé pouvait se vanter d’être en possession de sept âmes ; et, comme il y a infiniment plus de difficulté à sauver sept âmes qu’une seule des griffes de Satan, Sascha avait pris la sage résolution, afin de n’en perdre aucune, de parler chaque jour de la semaine une langue différente. Sans le secours d’un maître et uniquement à l’aide d’une grammaire et d’un dictionnaire, il avait appris les idiomes des grandes nations de l’Europe, afin de pouvoir jouir de leur littérature en lisant l’original. Il mit son projet à exécution avec une fermeté inébranlable. Le lundi, il ne parlait absolument que latin ; le mardi, allemand ; le mercredi, polonais ; le jeudi, français ; le vendredi, anglais ; le samedi, italien, et le dimanche, russe. Ce fut sa femme qui eut le moins à souffrir de cette règle de conduite, et le pauvre chantre qui en pâtit le plus.

Spiridia et Ogan avaient sans cesse affaire à Sascha ; mais la jeune épouse, tant avant qu’après son mariage, s’était suffisamment instruite des langues que connaissait son mari pour être à même de le comprendre, tandis qu’il y en avait cinq dont le chantre ne comprenait pas un traître mot. Il lui fallait donc, durant cinq jours de la semaine, s’exprimer à l’aide d’une ingénieuse pantomime.