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SASCHA ET SASCHKA.

le seigneur du lieu s’adressait plutôt à elle qu’au bailliage cantonal lorsqu’il avait à porter plainte contre ses fermiers, et que le chantre, qui était quelquefois enroué par l’effet de l’eau-de-vie dont il avait un peu trop bu chez le cabaretier juif, retrouvait toute sa voix aussitôt que Spiridia s’asseyait sur sa chaise à l’église.

Ce chantre était vraiment un homme comme on n’en voit pas tous les jours ; il se nommait Ogan ; mais ce n’est point son nom, tant s’en faut, qui était chez lui la chose la plus curieuse. Ce petit bonhomme maigre, vêtu d’une longue redingote café au lait, avait un grand cou entouré d’un foulard blanc ; son teint jaune couvert de taches brunes le faisait ressembler au mouchoir d’un priseur. Ogan avait habituellement un air maussade, quoiqu’il n’eût à se plaindre de personne. Seule, dame Spiridia pouvait se vanter de l’avoir vu sourire. Soit qu’il entrât chez elle ou qu’il en sortît, il baisait toujours une large place de la manche de sa veste en velours doublée de fourrure. Lui offrait-elle un petit verre de kontuschuvka[1], jamais il ne portait d’autre santé que celle de la belle dame, et jamais non plus il n’eût acheté un chapeau, une veste, ni le plus petit objet, sans lui demander conseil.

Ogan avait beaucoup d’habitudes qui lui étaient propres ; sa personne n’était vraiment qu’un tissu de manies. Il tirait à chaque instant sa grosse montre d’argent pour écouter si elle marchait encore. Était-il invité à dîner, jamais il n’avait d’appétit ; il se

  1. Eau-de-vie de grain.