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LA MÈRE DE DIEU.

très calme. Elle le regardait d’un air étrange, avec un sourire mauvais. Lui, se tenait étendu à ses pieds, tout pâle.

« Hélas ! je n’ai aimé que toi, recommença Sabadil, mais ton cœur appartient à tous.

— C’est mon devoir.

— Et tu blâmais l’amour passionné que je te portais ; tu me punissais, tu me maltraitais.

— Je ne l’ai pas fait assez, Sabadil, repartit Mardona. Je ne suis pas parvenue, comme je le désirais, à mortifier ta chair, à transformer ton amour charnel en affection divine. Cette fois-ci, je m’y prendrai autrement. Tu m’as dit, du reste, que tu n’avais aucun besoin de ma pitié. Allons, viens ! »

Un vague pressentiment serra Sabadil au cœur. Mais la beauté de Mardona, la puissance qu’elle avait sur lui et jusqu’à sa froide sévérité enflammaient à nouveau sa passion. Il se laissait emmener, il partait contre sa volonté. Il éprouvait une douce volupté à se livrer entre les mains de Mardona ; il la suivait machinalement. Il se sentait comme dans un de ces rêves où l’on veut poignarder son adversaire, et où l’on a le bras paralysé.

Mardona s’assit dans son traîneau, qui était resté arrêté près d’un taillis, derrière la maison. Elle prit les rênes, et ordonna à Sabadil de monter près d’elle. Lorsqu’elle le vit à ses côtés et que le traîneau se mit en marche, Mardona sourit d’un air mauvais, avec amertume. Elle emmenait le rebelle qu’elle avait fait prisonnier à cette heure. Lorsqu’ils longèrent la forêt, des lueurs ardentes, mobiles comme des feux follets,