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SASCHA ET SASCHKA.

le cri lugubre d’un butor ou le frétillement d’un poisson.

Sascha demeura longtemps dans ce lieu, en proie à de tristes pensées. Tout à coup il en fut tiré par un chant à la mélodie douce et consolante comme l’astre des nuits qui planait au-dessus de l’étang. En même temps on entendit les eaux s’agiter en cadence, puis le bruit des rames s’accentua de plus en plus, et l’on vit enfin sortir des roseaux verts une barque dans laquelle était assise Spiridia en costume de paysanne. Sascha se leva aussitôt et lui fit signe d’approcher. Elle aussi reconnut alors le jeune homme, et rama vigoureusement vers le rivage.

« Grand Dieu ! cria-t-elle de loin à Sascha, que faites-vous ici seul dans l’obscurité ?

— Et vous ? »

Elle ne répondit point. La barque se dirigea vers Sascha, qui y sauta et s’empara des rames. Ils demeuraient en silence en face l’un de l’autre et se laissaient doucement porter par l’eau tranquille et calme vers le jardin féerique qu’une main enchanteresse semblait avoir posé sur le miroir de l’étang où la lumière de la lune avait jeté des ponts d’argent.

La belle jeune fille laissait pendre sa main au milieu de l’eau et faisait clapoter les petites vagues, ou bien elle cueillait un nénuphar ou un des lis qui s’épanouissaient au-dessus des fucus. Du fond des eaux la lune la regardait, semblable à une nymphe au riant visage couronnée d’une chevelure d’or et, sur le rivage, un feu follet s’agitait curieusement à travers les tiges flexibles des roseaux.