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LA MÈRE DE DIEU.

raille. Personne ne l’avait vue arriver, pas plus que Sabadil.

Tout à coup la lumière se fit. Anuschka entra brusquement, portant une grande lampe, qu’elle posa sur la table, devant les joueurs. Mardona regarda Sabadil involontairement. Les grands yeux brillants du jeune homme n’étaient pas arrêtés sur elle. Elle se retourna vivement et saisit un regard qu’il échangeait avec Nimfodora. L’instant d’après, Sabadil était replongé dans les cartes de Kenulla, et Nimfodora baissait de nouveau les yeux tristement, et comme absorbée. Mais Mardona en avait vu assez. Elle devina le reste aussitôt. Elle sentit une douleur brûlante, qui l’aiguillonna au cœur, et des flots de sang affluèrent à son cerveau ; toutefois elle n’était pas femme à perdre son empire sur elle-même, bien qu’un nuage épais couvrît sa vue, et qu’elle fût en proie à la jalousie la plus impétueuse.

Son visage calme et froid ne trahit aucune des émotions qu’elle éprouva, et elle ne laissa voir aucunement avec quelle fièvre, quelle attention, elle épiait le moindre geste de Sabadil, le plus léger mouvement de Nimfodora. Elle parut suivre le jeu avec intérêt, et examinait Sabadil ; elle alla ensuite au miroir, pour réparer le désordre de sa coiffure, et regarda longuement l’expression et le maintien de Nimfodora.

Lorsque Sabadil remonta en traîneau, ce soir-là, pour retourner chez lui, il aperçut Sofia sur la route, malgré la neige et la tourmente.

« Que fais-tu ici ? lui demanda-t-il tout effrayé.

— Je t’attends.