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SASCHA ET SASCHKA.

les roseaux on apercevait une partie de la nappe des eaux, brillant d’un faible et terne éclat. Tout, jusqu’à la petite mare qui s’étendait devant la maison de Sascha, commençait à devenir lumineux.

Un soir, le clair de lune, le calme profond qui régnait au dehors et les parfums du thym attirèrent en pleine campagne le pauvre théologien. Il traversa les champs d’isatis en passant près du puits d’où jaillissait l’eau claire à l’aide d’un rouet, devant l’humble croix de bois, et se dirigea vers l’étang. Arrivé au bord de l’eau, il s’étendit sur le gazon de la sombre Mogila[1] qu’éclairait doucement la lune, et dont les hautes herbes se penchaient vers lui.

Le lieu où se trouvait Sascha était triste et solitaire. Autour de lui s’élevaient des saules, des aunes et des ormes ; çà et là leurs branches pendaient dans l’eau ou se balançaient à sa surface. Quelques bouleaux isolés semblaient être l’esprit de solitaires qui, vêtus de blancs linceuls, auraient plané en gémissant sur la tombe des héros. Parfois un murmure plaintif se faisait entendre dans les grands roseaux, et l’eau, morne et sinistre, murmurait une plainte sur la rive escarpée. Au ciel brillait une seule étoile, et encore paraissait-elle sur le point de s’éteindre. On apercevait dans le lointain la lueur d’un feu allumé par des bergers. La voix des chiens retentissait par intervalles ; et, quand le silence renaissait, on entendait

  1. Monticule sur lequel reposent les héros des temps anciens ainsi que les soldats qui, à la suite des combats d’autrefois, furent enterrés en masse, selon l’usage de cette époque.