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LA MÈRE DE DIEU.

reprit Wewa. Nous voulons glorifier ensemble cette journée où j’ai si heureusement revêtu ma sainte charge. J’aurai compassion de tes faiblesses et je récompenserai ta fidélité.

— Je suis sûr, Wewa, que tu as un quartier de porc à la broche, s’écria Sukalou enthousiasmé et se pourléchant les lèvres avec gourmandise.

— Non, ô le plus fidèle de mes alliés ; mais je te ferai la grâce de t’accorder ma main.

— Je n’en suis pas digne, gémit Sukalou.

— Je le sais, repartit Wewa d’un ton résolu. Si tu en étais digne, je ne parlerais pas de la grâce dont je veux te donner la preuve.

— Mais tu es beaucoup trop bonne à mon égard, répondit Sukalou d’une voix plaintive ; il suffit que tu m’autorises à ramasser les miettes qui tombent de ta table, reine des anges… »

Un soufflet terrible, appliqué d’une main ferme sur sa joue, coupa court aux flagorneries de Sukalou.

« Pas un mot de plus, misérable imbécile, âne bâté, fieffé coquin ! Tu n’es même pas digne de lécher la poussière de ma chaussure. Ne suis-je pas pareille à la fiancée du Cantique, belle comme la lune, aimable comme Jérusalem, terrible comme des armées ? »

Elle arpentait la chambre à grands pas, faisant bruire ses jupons. Sa robe fouettait ses bottes de maroquin bleu, et ses talons d’argent cliquetaient comme des castagnettes sur le carreau. Sukalou soupira d’un air grave et prit une pincée de tabac.

« As-tu jamais entendu qu’une Mère de Dieu se fût mariée ? » hasarda-t-il timidement. Wewa se redressa.