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SASCHA ET SASCHKA.

de peau de mouton, dansa la Kolomijka avec Spiridia. Il la fit tourbillonner avec une telle frénésie que leurs vêtements et leurs chevelures voltigeaient avec une vitesse vertigineuse. On ne voyait que joyeux visages ; les vieillards eux-mêmes, qui ne pouvaient pas danser, jouissaient véritablement de voir le peuple aussi gai et la jeunesse aussi heureuse.

À cet après-midi de fête succédèrent des jours calmes et uniformes. Sascha se montra soucieux et même triste. Le moment approchait où il devait retourner à la capitale, et cette pensée l’accablait. Tout annonçait le retour de l’automne. Les hirondelles s’assemblaient sur le faîte du grand portail de l’église, et semblaient tenir hautement conseil au sujet du long voyage qu’elles allaient entreprendre. Sur le ciel d’un bleu pâle se dessinaient des bandes de grues, de cigognes et d’oies sauvages qui se dirigeaient vers le sud, en formant de noirs triangles d’une rectitude parfaite. Sur les champs d’éteules soufflait un vent froid qui chassait devant lui les blancs fils de la Vierge, signes des derniers beaux jours d’automne. Le feuillage des arbres se colorait de mille nuances et couvrait peu à peu le sol d’un tapis bigarré. Dès que la nuit commençait à descendre, la lune, apparaissant au-dessus de l’étang voisin, semblait sortir du sein de l’onde ; puis, quand elle planait, brillante et en pleine liberté au milieu du plus pur éther, une lueur argentée se répandait partout, et l’on voyait s’élever avec lenteur et majesté la sombre forêt, semblable à une muraille de géants aux contours fantastiques ; puis au-dessus d’elle apparaissait la montagne. À travers