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SASCHA ET SASCHKA.

manquait en méthode par cette diction éloquente et facile, et par l’art de mimer avec animation, qui sont propres aux habitants de la Petite-Russie.

L’effet produit par cette représentation fut très différent de celui que font ordinairement les spectacles. Les assistants ne se croyaient point au théâtre ; ils se retrouvaient eux-mêmes sur la scène avec leur genre de vie et leurs travaux, leurs peines et leurs joies, ainsi que leur manière de s’exprimer ; aussi ne manifestèrent-ils point leur approbation comme on a coutume de le faire. Aucune main ne s’agita, aucun bravo ne retentit, mais sur tous ces visages simples se lisaient un recueillement religieux et une profonde admiration.

Selon les événements qui se passaient sur la scène, les braves gens s’attristaient ou s’égayaient, riaient ou pleuraient, et, quand la pièce fut terminée, ils ne pouvaient se décider à quitter leur place.

Sascha s’était parfaitement acquitté de son rôle ; il avait pressé Spiridia sur son cœur avec tant de naturel, que la jeune fille s’était sentie rougir sans qu’elle l’eût cherché.

Quand les spectateurs eurent enfin évacué la salle, ils trouvèrent à la sortie des fûts remplis d’eau-de-vie et de vin, et cinq musiciens juifs postés sur un chariot à ridelles se mirent aussitôt à jouer. Les acteurs avaient conservé les costumes qu’ils portaient sur le théâtre. Sascha, chaussé de bottes et vêtu, comme un paysan de la Petite-Russie, d’un large pantalon de toile et d’une longue redingote en drap bleu avec garniture de cuir, coiffé d’un grand bonnet