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LA MÈRE DE DIEU.

— Un malheur !

— Quoi donc ? demandèrent à la fois tous les assistants.

— C’est… pour le dire tout de suite,… mais vraiment je ne puis parler, pleurnicha Sukalou,… je tombe de lassitude,… j’ai couru comme un cheval,… c’est pour l’amour de Mardona, pour la sauver, s’il est temps encore, et aussi parce que je meurs de faim.

— Femme, donne-lui à manger, dit Ossipowitch.

— Allons, raconte ce que tu sais, s’écrièrent les assistants, qui avaient quitté la table et entouraient Sukalou.

— Je veux manger d’abord, interrompit Sukalou ; je raconterai après. Trois jours de jeûne, vous vous imaginez que cela n’abat pas un homme ; je voudrais vous y voir. Je ne m’en remettrai jamais. »

Chacun se hâta de lui apporter quelque chose à manger. Ils se pressaient tous autour de lui, comme les bergers de Bethléem avec leurs offrandes. Turib tenait une assiette de jambon, Anuschka un petit pot de lait, Wadasch un hareng, Jehorig un pain, Anastasie un tonnelet de brindze, et le vieil Ossipowitch une carafe d’eau-de-vie et un petit verre.

« Mange, Sukalou, bois et mange, criait-on de tous côtés.

— Je ne puis manger aussi vite que vous le désirez, repartit Sukalou. Il vous faut avoir patience. Songez donc, un homme à demi mort d’inanition ! »

Il but un verre d’eau-de-vie et avala le hareng en deux bouchées. Il attaqua ensuite le jambon.

« Une plainte,… une plainte a été portée au tribu-