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SASCHA ET SASCHKA.

théâtre et à peindre sur des feuilles de gros papier rattachées ensemble les décors nécessaires ; il agença les coulisses et les pièces de rechange, puis représenta un village, une forêt, un cabaret, un arbre creux et une croix couverte de mousse avec l’image du Sauveur.

Tandis que tous ces préparatifs avaient lieu, Sascha se rendit un matin dans la forêt qui séparait son pays natal de deux autres communes, afin d’y étudier son rôle de pauvre villageois amoureux. Tout à coup il se trouva en face d’une belle jeune fille à cheval, vêtue en paysanne. Elle se dirigeait lentement de son côté à travers l’étroit sentier jonché de feuilles jaunies par l’automne et couvertes de gouttes de rosée où le soleil se jouait en feux étincelants. Le théologien à la taille élancée, au teint pâle, s’arrêta court et considéra en silence et avec surprise cette inconnue. Ce n’était point son costume qui le surprenait, quoiqu’il n’eût encore jamais vu une paysanne aussi richement vêtue. Ce n’était pas non plus sa beauté, car le peuple qui habite les montagnes et les vallées des Carpathes se distingue par son attitude majestueuse et la coupe régulière de ses traits. Ce qui le frappait, c’était la noblesse et la grâce répandues dans toute sa personne, car la beauté des habitants de ce pays est ordinairement un peu rude, et leurs charmes même ont quelque chose de sauvage.

L’alerte écuyère fit à Sascha l’effet d’une actrice déguisée en villageoise ; elle se tenait sur sa selle avec une certaine coquetterie, était chaussée de bottes rouges et vêtue d’une jupe aux couleurs vives, d’un