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LA MÈRE DE DIEU.

Ossipowich poussa sa femme du coude. Celle-ci se leva en soupirant et se dirigea vers un buffet, non loin de la place où était assis Sukalou. Aussitôt celui-ci ouvrit les yeux, mais les referma vivement, à demi, et continua sa prière. Et lorsque Anastasie tira du buffet un pain et une assiette de fromage, il prit une pincée de tabac, qu’il aspira derrière sa main, ce qui lui permit de regarder prestement dans le buffet, où il découvrit un morceau de rôti et une bouteille de vin à demi pleine.

« C’est curieux ! vous, vous mangez tout le jour durant, dit Sukalou lorsque Anastasie eut posé sur la table le pain et le fromage.

— C’est pour toi, répondit celle-ci en prenant un couteau dans le tiroir.

— Pour moi ! exclama Sukalou. Répétez-le, mes amis, je ne puis y croire !

— Mais oui, pour toi.

— Ô Dieu ! s’écria Sukalou en levant au ciel ses mains jointes, tu ne m’as pas abandonné ! Oui, il est encore au monde des cœurs purs qui prouvent leur foi par leurs œuvres. »

Il regarda la salle et, instinctivement, passa ses mains sur son ventre.

« Dites-moi, dois-je manger, véritablement ? »

Il chercha du regard quelqu’un qui l’y forçât, et, tout en promenant ses regards à droite et à gauche, il se léchait les lèvres avec gourmandise.

« Dois-je vraiment manger ? Dois-je interrompre ma prière pour contenter cette misérable enveloppe du péché, notre corps ? Dois-je exposer mon âme ?