Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
139
LA MÈRE DE DIEU.

quarantaine d’années, nommé Barabasch. Celui-là ne le perdait pas de vue et l’examinait avec défiance et une sorte de dédain. Il était petit, légèrement voûté, avec des cheveux châtain roux coupés sur le front et très longs sur les épaules. Sa moustache était couleur de rouille. Ses yeux gris avaient des éclairs haineux. Il était facile de reconnaître en lui un fanatique, au caractère violent et sauvage.

Après un moment, les frères de Mardona s’approchèrent de Sabadil pour le saluer. L’aîné, Turib, était svelte, de grandeur moyenne, avec des yeux noirs, brillants. Il parlait fort peu. Le second, au contraire, Jehorig, était fort bavard. C’était un jeune homme de vingt ans, petit, maigre, au visage pâle, sans barbe, fiévreux et agité comme le sont ordinairement les poitrinaires.

« Ne devons-nous pas chanter et jouer de quelque instrument en l’honneur de notre hôte ? demanda-t-il à Mardona humblement.

— Sans doute, vous pouvez chanter », répondit-elle.

Jehorig apporta des cymbales et les posa sur la table ; durant un instant, un silence complet régna dans la salle. Puis il commença à jouer. Il en tira des sons plaintifs, très doux, qui peu à peu grandirent, s’élevèrent et firent place à une puissante et sauvage mélodie.

C’était la mélodie de Hricin que Jehorig jouait, ce magnifique poème dont la musique rend si bien la tristesse poignante. Lorsque le jeune homme s’arrêta, les assistants entonnèrent d’une voix gaie un refrain cosaque.