Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
LA MÈRE DE DIEU.

Elle se dirigea vers la porte. Là elle hésita un instant sans le regarder. Puis elle tourna la tête et le contempla longuement, avec tendresse, presque amoureusement, par-dessus son épaule.

« Oui, Sabadil, tu reviendras ! je le veux ! »

En prononçant ces mots, elle rentra et ferma la porte.

Sabadil resta un instant à regarder la maison ; puis il soupira, repassa par-dessus la haie, et se dirigea du côté, de la forêt. Le brouillard se traînait dans les taillis, pareil à de l’eau sale, et voilait les arbres. Le soleil, en l’éclairant, semblait l’attacher à la terre, l’écrasant lourdement. Sabadil resta un instant sur la route, plongé dans ses réflexions.

Il entendit résonner de petites clochettes près de lui : il regarda et vit surgir du milieu du brouillard un petit chariot recouvert de toile, traîné par deux haridelles, et que dirigeait un vieux juif tout cassé, revêtu d’un cafetan vert grenouille.

« Hé ! Moschkou[1], as-tu une petite place pour moi ? lui cria Sabadil.

— Pourquoi pas ? » répondit le juif d’un ton aimable en lui faisant une place sur la planche qui lui servait de siège.

Les chevaux s’étaient arrêtés d’eux-mêmes. À peine Sabadil se fût-il assis, que le juif claqua du bout de la langue, et que les chevaux se remirent en route. La carriole longea la forêt, d’où s’élevait un brouillard intense, pareil à la vapeur d’une chaudière.

  1. Sobriquet donné aux juifs.