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LA MÈRE DE DIEU.

« Te craindre ? dit Sabadil en riant ; ah non ! par exemple !

— Sais-tu qui je suis ? demanda-t-elle froidement, en laissant tomber ses mains jointes.

— Une fille aussi chaste que belle ! »

Il s’approcha d’elle, très près, et saisit ses mains ; elle ne le repoussa pas, mais le perça d’un regard si pur, qu’il avait quelque chose de surnaturel. Sa bouche rose s’entr’ouvrit comme pour provoquer un baiser. Pourtant elle fronçait les sourcils d’un air de colère.

« Ne me touche pas, dit-elle d’une voix douce. Tu commets un péché en portant les mains sur moi.

— Ce péché, Dieu me le pardonnera ! » dit Sabadil.

Il enlaça dans ses bras la jolie fille, vivement, et lui donna un baiser.

Elle se dégagea sans un mot. Son beau visage était enflammé de colère, mais son grand œil bleu luisait doucement lorsqu’il rencontra celui de l’audacieux. Et, tandis qu’il restait là, immobile, comme pétrifié, elle s’enfuit et disparut sans laisser de trace, comme elle était venue.

À la suite de la rencontre dans le bois avec la jolie étrangère, Sabadil se sentit saisi d’un trouble étrange. Un sentiment inconnu et qui n’avait rien d’agréable le poursuivait et l’empêchait de vaquer à ses occupations comme à l’ordinaire. Il était devenu pensif. Il ne mangeait pas. Il n’avait aucun appétit. Il ne buvait pas non plus, et ne pouvait dormir la nuit. Le travail l’ennuyait. Le chant des oiseaux même ne parvenait plus à le distraire. Il ne se rendait plus dans la forêt