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LA MÈRE DE DIEU.

parfumée, qu’il tendit à sa compagne. Lorsqu’elle la prit, Sabadil remarqua ses mains, qui étaient fines et blanches. Sûrement ces mains-là n’avaient même jamais tenu d’aiguille.

« Vois ces fleurs, reprit l’étrangère, elles sont l’image du vice. Comme lui, elles sont séduisantes, et belles, et nuisibles. Quel parfum suave ! Et si nous les laissons près de nous, durant notre sommeil, elles nous rendent malades. Oui, elles vont jusqu’à tuer par leur odeur exquise ? Sabadil, je te crois un enfant du monde, sans souci de ton salut éternel. Le péché flatte tes sens, menace ton âme de perdition ! »

Ses beaux yeux bleus étaient arrêtés sur Sabadil, pénétrants et sévères.

« Es-tu fille d’un prêtre ? » demanda le jeune homme en riant, non sans ironie.

L’étrangère secoua la tête et soupira. Ils avaient atteint un endroit marécageux, plein d’eau et de grandes herbes. La jeune fille regarda autour d’elle.

« Que veux-tu ? lui demanda son compagnon ; que dois-je faire ?

— Un pont », dit-elle gravement.

Il se hâta d’apporter quelques troncs de jeunes arbres abattus et couchés dans le gazon et de les étendre sur le sol fangeux. La jolie fille le considérait avec admiration. Elle regardait sa stature svelte et robuste, ses bras musculeux, son front bas où les boucles de sa chevelure étendaient comme un voile, son nez retroussé, ses pommettes saillantes, son menton arrondi et ses joues halées par le soleil et le grand air. Lorsque le pont fut fini, il y posa le pied lourdement.